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sacré au nom des Pharaons, ou des sigles aux initiales du fabricant, elle garde sous la flore des âges et les blessures du barbare la forme et le souvenir des grands édifices violés et morts.

On a dit qu’il n’y avait pas de mauvais architectes, mais de mauvaises époques. Il faudrait ajouter qu’il y a de bons et de mauvais matériaux, et c’est encore la plus ou moins grande résistance de la matière au génie de l’artiste. Conséquemment, si j’ai dit, comme je le crois, que l’apogée de l’architecture grecque, à Athènes, au siècle de Périclès, aura été un moment unique dans l’histoire, qu’on ne retrouvera jamais, c’est que tout aura concouru, en cette heure merveilleuse du monde, à l’accord parfait du lieu, de la matière et de l’homme. Les dieux, dira-t-on, étaient plus beaux — j’entends physiquement — et j’ajouterai qu’ils étaient plus sculpturaux, et, si j’ose dire, plus architecturables. Mais ne serait-ce pas aussi que le lieu prêté par les dieux était admirable ? que l’homme y portait un idéal plus simple, plus près du sol et de la matière où il le voulait tailler en image ? que cette matière enfin, le marbre, était et restera la plus belle qui soit, et qu’un art aussi matériel, qui ne l’a plus, ne saurait plus jamais être aussi beau ?

Il ne saurait être non plus aussi durable. Quelle demi-éternité voulez-vous permettre à cette pauvre pierre, grise et triste, qui s’effrite et se désagrège sous nos climats froids ? à ce ciment factice ou falsifié, que toute notre science moderne n’a pu rendre seulement aussi solide que celui des barbares romains ? à ce fer enfin, que toute modification atmosphérique allonge ou rétrécit, que la rouille ronge, et que fuit l’esprit ? Mais encore où sont vos légions d’ouvriers pour transporter les assises colossales et les énormes monolithes, comme autrefois dans Thèbes aux cent portes ? pour bâtir les murs de Babylone, que flanquaient deux cent cinquante tours colossales, on a calculé qu’il avait fallu employer pendant plus d’une année quatre cent mille hommes travaillant à la fois. Salomon avait réuni, pour bâtir le temple des Juifs, 70 000 manœuvres qui portaient les matériaux, et 80 000 hommes qui taillaient les pierres dans les montagnes. Plus tard, quand Justinien voulut refaire Sainte-Sophie, il écrivit aux satrapes d’Asie et aux gouverneurs des provinces de rechercher les marbres précieux, les colonnes et les sculptures de tout genre qu’ils pourraient trouver aux temples, aux portiques et aux thermes, dans toutes les villes des pays d’Orient, d’Occident et des