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dû imposer, pour ainsi dire, à ces deux peuples, leur architecture massive, austère et forte. Plus tard, dans ces deux pays, les formes s’allongeront, l’emploi de bois rares venant de tributs imposés aux nations vaincues, et de matières précieuses, achetées à grands frais à l’étranger, affinera les proportions, transformera le goût, mais aussi amènera bientôt la décadence, comme toutes les fois qu’une race vraiment personnelle, et personnifiée dans un style, abandonnera ses moyens naturels et locaux, quittera ses habitudes ataviques, sortira de sa tradition enfin. C’est ainsi que la manière dont les mêmes matériaux dans un même pays sont diversement employés donne en quelque sorte la classification chronologique de ses monumens.

Chez les Grecs de la belle époque attique, l’art de tailler le marbre fut poussé à une extrême perfection ; mais encore le poids des énormes blocs employés comme linteaux et comme entablemens impose les lignes horizontales et les puissantes saillies — organise et explique la noble simplicité du temple. Avec les Romains se renouvelle l’usage de construire avec des pierres plus petites ou plus légères, en blocs plus divisés et ouvragés par plus de travailleurs isolés, puis avec des briques, et de suite l’arc redevient facile à bâtir, et la voûte pratique pour de plus grandes ou de plus rapides constructions. Après la conquête de la Grèce, les Romains se reprirent du bel amour du marbre, mais ils durent le faire venir à grands frais des carrières d’Asie Mineure ou d’Egypte, et finirent par ne plus l’employer qu’en revêtemens, pas plaques — crustæ — appliquées sur les surfaces des murailles faites de moellons ou de briques. On sait, de réputation devenue proverbiale, l’étonnante solidité du mortier romain, et comme il servait à lier d’une presque indestructible façon toutes les parties d’un appareil dont les différens systèmes avaient un nom particulier et une règle fixe, et sont demeurés en usage, avec quelques modifications, jusqu’à nos jours. La brique même, merveilleux élément de structure, à la fois légère, petite et résistante, la brique est un des plus anciens témoins de l’architecture, un morceau sacré de l’histoire, puisque les lointains ouvriers de Suse et de Persépolis la savaient cuire au grand feu et recouvrir d’un émail coloré, et que partout, dans les substructions de Ninive ou de Byzance, dans les impériales murailles de Rome, dans les voûtes gallo-romaines ou dans les fins édicules de la Renaissance, invisible et présente, qu’elle soit marquée du sceau