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Au même moment, en France comme en Allemagne, en Angleterre comme en Italie, le pouvoir politique, — et l’argent, — passent en d’autres mains, l’argent surtout, grand bâtisseur, et sans lequel il n’y aura plus bientôt, dans cette Europe dont on commence à ruiner l’enthousiasme, ni architectes, ni ouvriers, ni pierres. La Royauté, en attendant, hérite du pouvoir de l’Eglise. Et ceci explique les grands châteaux provinciaux en France, et Fontainebleau, et bientôt Versailles. Saint-Pierre de Rome[1] même, considéré comme le sommet et la fin de la Renaissance en Italie, n’est que la demeure royale d’un souverain plus religieux — le plus humain salon de réception d’un Dieu. Et, en ce sens, c’est une admirable chose, image fidèle de la papauté magnifique et presque sans foi des Borghèse et des Médicis, et un monument magnifique, à la condition qu’on y passe, qu’on y salue ou qu’on y chante, mais non pas qu’on y prie ! Il serait facile de trouver à ceci des preuves analogues, dans le reste de l’Europe, pendant le XVIe et le XVIIe siècle, selon l’état plus ou moins florissant de la société en chaque pays, en tenant compte de ces trois conditions de première importance : la lutte politique des pouvoirs civils et religieux, la mode dans les mœurs et les goûts de chaque peuple, surtout l’état… des finances du souverain, du prince ou des particuliers. Il faudrait se rappeler aussi que pendant toute la Renaissance on a imité partout l’Italie, comme, aux XVIIe et XVIIIe siècles, tout le monde imitera la France. En France, on sait les origines tout italiennes des monumens construits sous François Ier, au retour des guerres d’Italie. Fontainebleau est bâti par des ouvriers italiens sous la direction des Serlio, des Primatice, des Rosso. Mais, formés à cette école, des architectes plus fins, et plus graves à la fois, et plus nationaux, viendront bientôt et reprendront les modèles en les corrigeant, et utiliseront les types en les affinant à ce goût français, au toucher privilégié de ces ouvriers du sol gaulois, dont l’inné et charmant génie semble être décidément de purifier ce qu’ils prennent plutôt que d’inventer à nouveau. Jean Bullant, Philibert Delorme et Pierre Lescot font pour l’art de bâtir ce qu’avait fait Clément Marot ou Malherbe, ce que feront bientôt La Fontaine, Corneille ou Molière pour l’art d’écrire, s’appropriant les fables ou prenant les styles à l’antiquité,

  1. On sait que le plan primitif de Bramante, qui était de superposer le Panthéon à la basilique de Constantin, fut dénaturé après sa mort, et depuis sauvé par Michel-Ange, et enfin abandonné par le Bernin.