Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les tentatives précédentes, inspiré peut-être aussi par de lointains souvenirs égyptiens, touche à la perfection, et concentrant en une merveilleuse synthèse de simplicité logique tous les élémens d’ornemens alors connus, crée véritablement l’ordre-type, ce rude et franc dorique[1], que les Grecs appelaient en effet l’ordre-mâle, et dont ils aimaient la probe simplicité, exigeant dans l’exécution la proportion la plus précise, et la plus précieuse main-d’œuvre. L’ordre ionique[2] était l’ordre élégant, plus souple, plus orné, l’ordre-femme. Vous souvient-il aussi de la légende qui conte l’invention du virginal chapiteau, dont les fines acanthes ont fleuri par toute la terre ? Une jeune fille de Corinthe, étant sur le point de se marier, mourut subitement ; et sa nourrice, ayant réuni tous les objets chers à la pauvre morte, les plaça dans une corbeille, qu’elle déposa à l’endroit où le corps avait été inhumé. Puis elle recouvrit la corbeille avec une large tuile. Une plante d’acanthe poussa tout à l’entour, et enveloppa de ses larges feuilles le monument imprévu. Le sculpteur Callimaque, architecte et peintre — et de tout cela un peu poète sans doute — vit la gracieuse combinaison du hasard et du printemps, et, imaginant de la copier, en fit le chapiteau corinthien.

La colonne est ainsi constituée sous les trois espèces. Le chapiteau en est l’efflorescence suprême ; la tête symbolique qui va soutenir le fronton, porteur de la dédicace et de l’idée figurée. Il a ses lois de croissance et d’éclosion, par rapport au poids réel et au poids spirituel qu’il doit supporter. Sa mesure et sa forme seront proportionnelles à l’entablement qu’il soutient, symbole lui-même de ce qu’il raconte d’humanité, et de ce qu’il encadre de foi. Et le fronton a son secret comme la colonne : le rapport absolu entre les angles inflexibles de son triangle, figure mystique, est enfermé dans un nombre encore mal connu, mais certain. Comme un grand oiseau aux ailes éployées, il est venu se

  1. L’ordre dorique, le plus ancien des ordres grecs, apparut simultanément à la fin du VIIe siècle dans tous les pays doriens, à Corinthe, à Mélaponte, à Pœstum, à Ségeste, à Agrigente, à Syracuse… C’est aujourd’hui un lieu commun que les élémens du dorique se retrouvent dans l’architecture orientale. On a reconnu à Karnak et dans les colonnes du tombeau de Beni-Hassan comme le prototype de la colonne dorique. Le chapiteau, composé de l’échine et de l’abaque, — et qu’on a appelé le proto-dorique — se retrouve à Cypre, à Golgos et à Eddi. (M. Collignon.)
  2. Suivant les écrivains anciens, l’ordre ionique est postérieur au dorique, et se montra pour la première fois en Asie Mineure dans le temple d’Artemis à Éphèse.