Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tête vers le ciel, regarda, à travers la haute voûte des arbres primitifs, l’intangible coupole, ornée d’astres, et résolut d’en élever une semblable pour son maître invisible et redouté, pour un Dieu dont il ne connaissait encore que la force, mais dont il pressentait déjà la bonté.

Ainsi chaque peuple a eu l’architecture qu’il méritait. Navigateur, nomade, rêveur, c’est-à-dire idéaliste, ce sera ce peuple phénicien, apportant sur la mer, par le bleu chemin des îles, à la Grèce naissante, le culte poétique d’Astarté, « née de l’écume des flots » et sans doute le premier plan du temple de la belle déesse ; ou bien le juif, toujours en route au milieu du désert, avec son arche d’alliance, coffret en bois de schitime plaqué d’or, où le terrible Jéhovah, sans cesse présent, vivait au milieu de son peuple errant, jusqu’à ce que la châsse portative où étaient enfermées les tables de la Loi, déposée, de halte en halte, dans le Tabernacle provisoire des Israélites, aboutisse, dans les jours de gloire, au Temple de Salomon ; ou encore le Chrétien, cherchant en vain, pendant des siècles, dans les cellas retournées ou les basiliques désaffectées du paganisme mourant, une demeure pour l’abstraction vivante de son Dieu, un temple pour la nouvelle, l’indispensable Charité, jusqu’à ce qu’il trouve, par un merveilleux effort de génie et de foi, la voûte démesurément exaltée sur l’ogive, et force la pierre à loger la pauvreté divine, à raconter la pitié sainte, à exprimer en formes extérieures l’intérieur amour.

Commerçant, guerrier, politique, c’est-à-dire matérialiste, ce sera ce peuple romain, qui, à force d’orgueil et de richesse, prendra le monde, mais abâtardira les dieux, les idées et les formes. Entre ces deux types, à l’intersection de ces deux extrêmes, aura vécu, pensé, — et bâti, — la race fine et privilégiée des Hellènes, poétique encore par la mystique initiation de l’Orient, déjà grave et mesurée à l’approche de la raison, promise à l’Occident laborieux. Peut-être est-ce à cette double influence qu’ils doivent d’avoir été les plus clairs penseurs, et les constructeurs les plus simples.

En somme, tous les peuples victorieux ont été de grands bâtisseurs ; mais ils se divisent toujours en deux catégories très distinctes, selon le point de départ de leur conception morale ou sociale. Les uns suivent un prophète, divinisent un héros, écoutent un poète ; ils construisent pour une idée, pour une déesse, sous la poussée de je ne sais quelle unanime passion de