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s’étant un moment retirés de l’action, comme s’ils avaient éprouvé de graves avaries ou des pertes sérieuses ? Quel est enfin l’état actuel de leurs brillans navires, et, s’ils ont pu se ravitailler en charbon, que reste-t-il exactement dans leurs soutes à munitions de 203 millimètres ?

De tout ceci le commodore Dewey n’a pu encore informer son Gouvernement, le câble de Bolinao étant coupé, et, du reste, nous aurions mauvaise grâce à demander d’être mis au courant de ces questions délicates[1]. Bornons-nous à constater que, si l’énergie ne fait pas plus défaut au gouverneur général Augusti et aux troupes espagnoles qu’aux marins de Montojo, la victoire américaine restera stérile pendant longtemps encore, car, seuls, les croiseurs de Dewey sont impuissans à conquérir Manille. Ils peuvent tout détruire, dans la portée de leurs canons ; ils ne peuvent rien occuper, encore moins garder.

Débarquer 400 ou 500 marins sur un quai dévasté, ou, à la rigueur, faire flotter quelques jours le pavillon étoile sur la vieille batterie de Cavité, ce n’est point occuper Manille, encore moins les Philippines, archipel dont l’étendue dépasse celle de l’Espagne !

Pour faire là quelque chose de durable, il faudrait envoyer de San-Francisco un corps de débarquement et combiner l’action de ce corps avec celle de l’insurrection réveillée. Nous verrons si tel est le parti auquel s’arrêtera le gouvernement de l’Union, et nous espérons que les Espagnols, pour parer à ce danger, ne céderont pas à la tentation d’expédier directement une nouvelle escadre aux Philippines. On ne peut trop le répéter, c’est devant New-York qu’ils sauveront à la fois et Manille et la Havane.

Mais cette opération offensive peut-elle aujourd’hui, — nous écrivons ceci le 5 mai, — être tentée avec des chances sérieuses de succès par la seule escadre de l’amiral Cervera ?… Chaque jour, chaque heure, perdus par les Espagnols ont profité aux Américains en leur permettant d’achever l’armement de leur escadre de l’Atlantique et surtout du groupe de New-York, fort en retard jusqu’ici. Voilà d’ailleurs que l’escadre du golfe du Mexique, laissant derrière elle ses lourds monitors, semble se diriger vers

  1. Le seul point bien saillant des nouvelles apportées par le Mac Culloch est que les pertes des Américains sont très faibles. On ne s’en étonnera pas si l’on songe que sur des bâtimens de style très moderne comme l’Olympia, le Baltimore, etc., le personnel combattant est abrité derrière des casemates légères et des masques métalliques.