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les ordres d’un ancien sous-officier, anglais bien entendu, qui s’acquitte de cette tâche par reconnaissance, son frère ayant été autrefois élevé dans l’asile.

— La femme et les enfans de ce brave homme sont morts, me disent tout bas les sœurs, il a du chagrin et se distrait ainsi. Nos garçons se trouvent très bien de son enseignement ; ils y gagnent bonne tenue, bonne tournure, l’exercice les dégourdit, ils prennent au régime militaire des habitudes de discipline, d’obéissance, et aussi de responsabilité, car les officiers de notre petite brigade sont choisis parmi les sujets les plus méritans. Ils appliquent les ordres du chef, ils savent les peines méritées par telle ou telle infraction et ne laissent passer aucune peccadille. Tous prennent leur consigne au sérieux. Ils s’acquittent militairement des corvées de la maison ; plus tard on les verra soumis à leur patron, dans la vie civile, comme ils le seraient en cas de guerre à leurs officiers.

Tout ceci me paraît fort sage, mais le côté incongru, c’est le mélange d’Angleterre et de France dans l’entraînement des petits Canadiens. Ils chantent à tue-tête en français le On ne passe pas ! du P’tit caporal, tout en faisant l’exercice sans manquer au commandement jeté en anglais, bien que la plupart ne parlent que très peu ou même point du tout cette langue. Une religieuse anglaise s’efforce pourtant de leur apprendre ce que doit en savoir un féal sujet de la reine Victoria.

Regardant de loin les jeunes soldats, sans se mêler à eux, car on ne permet aucun contact entre lui et ses camarades, il y a un petit consomptif mélancolique, aux longs cils noirs balayant ses joues pâles, et deux jeunes Syriens d’apparence merveilleusement exotique. Des hordes d’émigrés Syriens sont venus peupler un faubourg de New-York et se répandre dans plusieurs villes des Etats-Unis, où ils font de menus commerces, mais j’ignorais qu’ils eussent pénétré jusqu’au Canada, meurtrier pour ces pauvres enfans du soleil.

On compte deux cents garçons à Nazareth ; il y a autant de petites filles dans le couvent. Elles me sont présentées en bel uniforme du dimanche, l’emblème du Sacré-Cœur sur la poitrine, dans la grande salle de réception. Toute la troupe est armée de bâtons et les exercices de callisthénie se succèdent avec un ensemble étonnant, comme les figures compliquées d’un ballet. Ce ne sont pas tous des enfans pauvres proprement dits ; beaucoup