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d’abord aux Récollets appelés par Champlain. Du haut de l’Esplanade, on m’avait montré, au fond de la vallée qu’arrose la rivière Saint-Charles, les vieux bâtimens agglomérés, dont une partie remonte au temps où de bons frères mendians reçurent sans méfiance les premiers jésuites. Eux aussi avaient accompli des œuvres admirables, fondé cinq missions s’étendant de l’Acadie au lac Huron, souffert le martyre, n’importe ; leur gloire allait être effacée par de plus forts qu’eux. Frontenac les soutint cependant contre la domination envahissante de leurs invincibles rivaux, mais celle-ci, comme toujours, finit par l’emporter, aucune armée n’étant jamais arrivée avec la même sûreté que la compagnie de Jésus, à vaincre, à prévaloir en tous lieux et dans tous les temps, par le seul effet de l’obéissance passive et de l’immolation de l’individualité à un intérêt déclaré supérieur.

Avant de se retirer les Récollets cédèrent à l’évêque de Québec leur maison située presque à l’endroit même où débarquèrent Jacques Cartier et ses compagnons. Là, plus encore que dans les autres couvens du Canada, les souvenirs belliqueux s’imposent. Pendant le siège de 1759, ce monastère, hors des murs, donne l’hospitalité aux Ursulines et aux religieuses de l’Hôtel-Dieu. Les pauvres sœurs assistent de leurs fenêtres au bombardement ; elles voient se préparer la bataille décisive livrée dans les plaines d’Abraham. Lors de l’invasion américaine les troupes ennemies sont longtemps cantonnées à l’Hôpital général. Et, à travers tout, les religieuses se dévouent à la souffrance humaine, suppléant à l’insuffisance de leurs ressources par toute sorte de travaux, y compris le rude travail des champs. Tant de mérite fut reconnu : le gouvernement anglais, comme avant lui le gouvernement français, leur accorda des subsides pour l’entretien d’un certain nombre d’invalides et d’aliénés[1]. Il y a maintenant 160 de ces vieillards. Dès le premier pas que l’on fait dans l’Hôpital, on se trouve au milieu d’eux. Ils sont là, mangeant, donnant, se traînant au soleil et soignés jour et nuit comme le seraient de petits enfans par des Augustines qui portent le même habit que celles de l’Hôtel-Dieu. Leur supérieure me reçoit d’abord à la grille, puis elle remet avec un certain cérémonial la clef de la clôture au personnage officiel qui m’accompagne ; son accueil est plein de bonne grâce, de dignité

  1. Un grand asile spécial d’aliénés existe aujourd’hui au village de Beauport.