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Aujourd’hui encore les Hospitalières se servent, en guise de pesées, de presses pour la lessive, des fragmens de projectiles qui labouraient dans ce temps-là les cours, les jardins, les murs d’enceinte. Au sommet de l’escalier se trouve la cloche chargée de réveiller dès quatre heures du matin les habitantes des cellules ouvrant à droite et à gauche sur un large corridor. Le nom de chacune d’elles est au-dessus de la porte. Si la maison en général avec ses murs blanchis, ses planchers nus, son ameublement sommaire se défend toute espèce de luxe, la recherche de la pauvreté est ici plus sensible que partout ailleurs.

Les très petites cellules, toutes à peu près de même dimension, ne renferment qu’un lit étroit et bas enveloppé de cotonnade grise et portant, parfois, une inscription comme celle-ci : « Dieu seul. » Un buffet supportant le bassin et la cruche, une chaise, un prie-Dieu surmonté du crucifix, voilà tout. Pour ne pas s’attacher à ces objets, les religieuses changent de chambre presque tous les ans. Même austérité dans le vaste réfectoire où une antique vaisselle d’étain est encore en usage. La princesse Louise d’Angleterre, visitant la clôture, voulut, me dit-on, manger la soupe dans ces curieuses écuelles à oreilles. Un tour fait communiquer le réfectoire et les cuisines, vastes comme nos anciennes cuisines de châteaux avec d’énormes solives au plafond et toutes dallées de pierres noires inégales ; les vieux usages y sont immuablement gardés, celui de la chandelle, par exemple, qui cède difficilement à l’innovation de l’huile de charbon. Mais une propreté exquise règne partout. Quelques tableaux anciens, des miniatures sur cuivre et de très belles estampes, présens de la duchesse d’Aiguillon ou d’autres grandes dames, décorent les petites chapelles placées à intervalles réguliers dans une galerie qui règne sur toute la longueur du premier étage. A l’une de ses extrémités certaine armoire aux panneaux enluminés de paysages naïfs renferme une crèche exposée seulement au temps de Noël : des anges en robes de satin, avec de grandes perruques bouclées, planent au bout d’un fil au-dessus de l’Enfant Jésus, de la Sainte-Vierge, de Saint-Joseph et des animaux de l’étable. Toutes ces pieuses poupées vinrent de France sous Louis XIV. Un noël du grand siècle est annuellement chanté devant elles sur un air de menuet que me fait entendre l’une des sœurs. On me montre à cette même place la châsse qui renferme quelques reliques d’une jeune Huronne morte en odeur de sainteté. C’est la seule sauvagesse qui ait jamais