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mouvement de retraite sur Versailles, de courir à Fontainebleau prévenir Napoléon de ce qui se passait. Chef de bataillon dans les grenadiers de l’île d’Elbe, il était adjudant-major du carré de la vieille garde au milieu duquel s’était réfugié Napoléon à Waterloo. Sous la Restauration, poursuivi par les rancunes de ses ennemis politiques, il partit avec le général Lallemand au Texas pour y fonder le fameux champ d’asile. Rentré en France, dès les journées de Juillet, sa réputation venait tout récemment d’être mise en lumière par la façon remarquable dont il avait mené l’expédition d’Ancône.

Son nom parlait à ma jeune imagination, tandis que sa haute taille, sa belle physionomie, l’énergie de son langage étaient à l’unisson de sa réputation. La fascination exercée par lui sur nous tous fut énorme, et malgré mon âge et mon expérience, je suppose que cette fascination devait ressembler à celle des chefs musulmans sur leurs plus fanatiques séides.

Dès son arrivée au régiment, il donna à la partie militaire pratique une impulsion jusque-là inconnue ; animé du véritable feu sacré, il le communiquait à tous, remuant tout son monde et inspirant une telle confiance, faisant naître une telle exaltation qu’il obtenait de tous ses subordonnés les efforts les plus considérables. C’était un véritable héros de Plutarque.

Ses manières toutefois se ressentaient de son ardeur et de son éducation toute pratique de la guerre et des camps ; il tranchait volontiers, frondait parfois ses supérieurs, et oubliait qu’exigeant de ses subordonnés une obéissance passive, il aurait dû leur donner l’exemple de cette vertu.

Eloigné de l’armée depuis quinze ans, toujours en campagne avant 1815, il avait peu étudié les règlemens du service intérieur ou en campagne de ces époques déjà lointaines. Quant à ceux en usage en 1832, il n’en avait jamais entendu parler.

Il avait aussi certaines manies bizarres : ainsi il affectionnait les exercices au pas gymnastique. Souvent il faisait courir son régiment pendant un temps illimité, quitte à « esquinter » son monde ; il ne voulait pas non plus de grosse caisse dans sa musique et ordonna de reléguer cet instrument dans les greniers. Il en fit autant des chapeaux chinois et des serpens gigantesques remplacés depuis par des ophicléides. Le tablier en cuir blanc des sapeurs lui paraissait gênant en campagne, et comme il était toujours prêt à faire la guerre et que son régiment devait également être prêt à