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complètement incapable de me soutenir. Je me jetai alors sur mon lit et m’y endormis presque aussitôt. Le lendemain je me réveillais plus dispos que jamais et riant de mes craintes de la veille.

Le remède que je m’étais appliqué m’a toujours paru bon ; aussi, plus tard, lorsque conduisant des colonnes françaises dans les sables du Sahara et les steppes de la Bulgarie, je les voyais accablées par le choléra, ai-je souvent prescrit avec succès de traiter mes pauvres soldats comme je m’étais traité moi-même.

Après un mois de séjour dans les Vosges, nous fûmes dirigés sur Valence, et de là sur Montpellier.

A Montpellier, sous l’influence du soleil et du vin que produit le pays en abondance, les esprits continuaient à se croire chaque matin obligés d’ajouter une journée aux trois glorieuses de 1 830.

Il y avait là des associations qui, loin d’avoir un caractère patriotique comme celles de l’Est, étaient purement politiques avec une tendance nettement républicaine. Des officiers et des sous-officiers s’étaient affiliés à ces sociétés. On avait dû en faire arrêter plusieurs pour faits de corruption et d’embauchage.

Quand j’arrivai à Montpellier, je vis l’effervescence révolutionnaire dans toute son exubérance. C’étaient des banquets, des manifestations tapageuses. On y protestait en faveur de la république et contre la dynastie. Un jour, le fameux marquis-démocrate de Cormenin en présida un auquel j’assistai. Il se montra particulièrement violent contre le roi Louis-Philippe. A la fin du repas, on chanta le « Ça ira ! » comme si on eût été en 1793. Personne ne songea à protester, pas même l’autorité. Cela me donna une piètre idée du gouvernement issu de la révolution de Juillet et de ses fonctionnaires.

C’est à Montpellier que je vis pour la première fois le colonel Combes, qui, pendant une absence que je fis en tournée avec le général Meynadier, avait été nommé commandant de notre régiment. Au physique c’était un fort bel officier, jeune de tournure, malgré son âge ; il avait les yeux noirs, très vifs, les cheveux égalemeont noirs, et portait une moustache presque imperceptible, avec de petits favoris qui ne dépassaient pas le bas des oreilles. Il a eu sur ma destinée une bien grande influence. Il était connu par les actes les plus héroïques. D’abord soldat dans le corps de Davout, puis officier dans la garde impériale, il s’était hâté, lors de la défection de Marmont, en voyant le