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Le nouveau gouvernement avait nommé, entre temps, des généraux inspecteurs, ou plutôt des commissaires spéciaux chargés d’épurer les corps de troupes au point de vue des principes politiques.

Le général de Castellane, pair de France, avait été chargé de l’inspection de Lyon et des pays avoisinans. Nous le trouvâmes déjà en fonctions à notre retour. Il était surtout connu comme un des généraux les plus inflexibles sur les questions de règlement. Il secouait son monde comme personne. On racontait qu’étant colonel d’un régiment de cavalerie, sous la Restauration, il faisait faire des manœuvres extraordinaires à ses hommes. Un jour de forte chaleur, il leur avait fait traverser une rivière aux eaux rapides et froides, l’Allier, je crois. Un grand nombre de chevaux s’étaient noyés et les autres avaient attrapé des fluxions de poitrine. Il en était résulté une perte d’une centaine de chevaux pour le régiment. Le ministre de la Guerre l’avait obligé, disait-on, à les remplacer de ses deniers personnels.

Grand seigneur, fort original, les épaules très hautes et carrées, le cou planté en avant, l’air dégingandé, il avait pris l’habitude d’imiter le Grand Frédéric, auquel il ressemblait d’ailleurs, en s’habillant et en se coiffant comme lui, et en ne se montrant jamais qu’en grande tenue avec un chapeau en bataille légèrement de travers.

Il avait aussi la coutume de se livrer à de véritables inquisitions vis-à-vis de ses subordonnés. C’est lui qui avait inventé, au moment des inspections générales, ce qu’on a appelé depuis la « confession ». Il appelait chaque officier en particulier et lui posait une foule de questions sur sa vie intime, sur ses parens, ses grands-parens, ses relations, sa situation de fortune, etc. En un mot, il lui faisait subir un interrogatoire qui ressemblait à une véritable confession.

Dès son arrivée à Lyon, le comte de Castellane nous interrogea chacun en particulier. Mon tour venu, je me rendis chez lui ; c’était la première fois que je le voyais. Depuis j’ai souvent eu l’occasion de le rencontrer ; il se lia même avec moi d’une telle amitié qu’à sa mort il me laissa son bâton de maréchal, sa ceinture d’ordonnance, et le portrait de Lassalle que j’ai dans mon cabinet.

Après cela, il est inutile de vous dire que le général fut satisfait de mes réponses.