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Il ne savait même pas les commandemens, et il ne serait certes pas rentré au service sans sa femme, fort adroite et intrigante ; elle voulait même le faire nommer maréchal de camp tout de suite ; elle y réussit deux ans plus tard.

Cet homme qui, après quinze ans d’inactivité, se présentait avec ses épaulettes de Waterloo, devait forcément nous parler de cette bataille, et de toutes ses harangues, je n’ai guère retenu que l’anecdote suivante dont il avait été le témoin. Il était, en 1815, colonel sous les ordres du général Durutte, qui était borgne. Au dernier moment de la bataille, les Prussiens menaçant de déborder l’armée française, le général réunit les officiers et les soldats qu’il avait sous la main et les ramène en avant pour arrêter l’élan de la cavalerie prussienne ; mais les hussards ennemis entourent Durutte, l’un d’eux court sur lui, et d’un coup de sabre lui abat net le poignet qui tombe à terre.

Il nous racontait encore avoir vu Napoléon rencontrer, le lendemain de la bataille de Ligny, un blessé prussien horriblement mutilé. Il s’était arrêté, avait fait appeler un paysan belge, et avait entamé avec lui le dialogue suivant :

« Crois-tu à l’enfer ? — Oui ! — Eh bien, je te promets que tu y souffriras les tortures les plus horribles, si tu ne soignes pas ce blessé que je te confie. Emporte-le et rappelle-toi mes paroles ! »

Notre lieutenant-colonel Duhout, officier de valeur, autrefois aide de camp du maréchal Bertrand, fut remplacé à la même époque par le colonel Locqueneux, également officier de mérite, blessé sous les yeux de l’Empereur à Iéna, à Eylau et à Wagram. Le maréchal Lobau faisait grand cas de lui ; il l’avait à ses côtés quand, suivi des grenadiers du 17e de ligne, il passa en 1809, sous la mitraille et la mousqueterie la plus terrible, le pont de Landshut. Dans une autre affaire, avec une compagnie de voltigeurs, Locqueneux prit six pièces de canon aux Autrichiens.

Grand et mince, il lui manquait tout le bas de la figure. A Wagram, un caisson avait éclaté auprès de lui et lui avait enlevé le menton. Sans cela ses traits eussent été assez réguliers et sa physionomie assez agréable.

On nous gratifia aussi d’un vieux capitaine titulaire de ce grade depuis 1810. Il se nommait de Roth et était originaire de la province de Fulde. Entré au service en qualité de cadet du contingent de cette principauté avant 1800, il avait successivement