Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teurs se rappelleront peut-être avec quelle ampleur de vues et quelle noblesse de langage, il n’y a pas encore deux ans[1], le duc de Broglie, ici même, avait posé le problème. « Il n’est aucun des avantages qu’on nous fait espérer de nos domaines lointains, disait-il, qu’il ne faille, d’un commun aveu, renvoyer à une échéance presque séculaire » ; et il se demandait si, ce que nous croyons avoir fait en ce sens pour accroître nos forces, n’avait pas plutôt et pour longtemps ajouté à notre faiblesse. C’est cependant un point sur lequel nous n’avons rien trouvé de bien précis ni de bien clair dans les programmes des candidats ou dans les discours de nos ministres. « Notre empire colonial s’étend tous les jours », nous dit-on, et nous, nous voudrions savoir une bonne fois si ce n’est pas aux dépens de notre force intérieure. « Le moment est venu de tirer parti de ces espaces immenses », ajoute-t-on ; et par hasard cela voudrait-il dire qu’on n’en a jusqu’ici rien tiré ? « Il faut créer toute une organisation, ajoute-t-on encore, commerciale, financière, administrative. » Nous ne l’avons donc pas ? et comment la « créerons-nous » ? Mais encore un coup, puisque ceux qui savent le fond des choses, ou qui devraient le savoir, ne se sont pas expliqués sur tous ces points, nous imiterons leur réserve ; et nous nous contenterons, comme nous le disions, d’avoir indiqué la question. La nouvelle Chambre la trouvera-t-elle indigne de son attention ?


Ni les démarches du pape Léon XIII, ni celles des grandes puissances, ni la longanimité dont l’Espagne a fait preuve, ni les dispositions personnellement pacifiques, — autant du moins qu’on les connaisse, — du président Mac-Kinley et d’une partie du peuple américain lui-même, n’ont réussi à empêcher la guerre d’éclater entre les États-Unis et l’Espagne. La presse, une certaine presse américaine, qui semble avoir joué depuis deux ans dans cette affaire un rôle considérable, et lucratif autant qu’odieux ; le Sénat, le Congrès qui, pas plus à Washington qu’ailleurs, s’ils sont une « sélection » ne sont celle du mérite ou de l’expérience ; le sentiment populaire, toujours facile à émouvoir et, quand on l’a une fois ému, plus difficile à maîtriser, ont été les plus forts ; — et le bombardement de Matanzas a donné le signal des hostilités.

Ce que sera cette guerre, quand et comment elle se terminera, quelles en seront les conséquences, on ne saurait le dire ; et il y a tout

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juillet 1896, l’article intitulé : Vingt-cinq ans après.