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Elle jette sa gourme ; et ces petits « sans-patrie » sont les bourgeois de l’avenir. Mais nos « internationalistes, » eux, ne sont pas des enfans ni des dilettantes ; et leur nom, lui tout seul, est sans doute un programme assez éloquent. « La masse prolétarienne n’a aucun intérêt à être patriote, à rendre un culte à cette entité indéfinie, embrouillardée qu’est la patrie » : ainsi s’expriment-ils sans détour dans leurs brochures de propagande. Ils trouvent d’ailleurs, pour les encourager, des savans ou des intellectuels qui n’hésitent pas à voir dans « l’idée étroite de patrie », ce qu’ils appellent tout simplement « l’obstacle le plus formidable à toute amélioration sociale dans l’avenir ». Et, tandis qu’ils travaillent ou qu’ils croient ainsi travailler à supprimer les frontières, et à fondre, on ne sait dans quelle vague et veule humanité, jusqu’au souvenir des patries locales, d’autres les aident, qui sont d’ailleurs animés des meilleures intentions, en essayant de faire revivre « les petites patries ». Ce sont nos « décentralisateurs », sur lesquels il sera temps de s’expliquer un jour, quand ils auront pris eux-mêmes leurs habitudes au fond de quelque province, et que, prêchant d’exemple, ils se seront « enracinés » à Draguignan, je suppose, ou à Concarneau. Mais, pour le moment, dans un pays comme la France, dont la frontière n’est pas à plus de quatre heures de sa capitale, et dans une Europe comme la nôtre, ils font le jeu de l’internationalisme ; et, nous l’espérons, c’est ce que n’oubliera pas une Chambre française, quand on lui viendra vanter les bienfaits de la décentralisation.

En second lieu, il lui faudra traiter la question religieuse, puisque aussi bien c’est, de toutes, celle qui nous divise le plus ; — et on le conçoit assez aisément. Les questions purement politiques, telles que « la révision de la Constitution » ou la « réforme du parlementarisme » sont intéressantes, et les conséquences peuvent s’en étendre plus loin qu’on ne le croit ; mais, en un certain sens, elles ne touchent, et surtout elles ne passionnent que les politiciens. Les questions sociales, telles du moins qu’on les voit posées dans les programmes ou dans les discours des chefs du parti révolutionnaire, « la journée de huit heures », par exemple, ou « les conditions du contrat de louage », ne touchent que les ouvriers de la grande industrie, — et aussi quelques patrons. Le paysan y est indifférent, et, comme lui, dans le petit commerce ou la petite industrie, tous ceux qui savent bien qu’ils n’y gagneront rien. Mais les questions religieuses intéressent directement, et immédiatement, tout le monde, par la raison bien simple que, selon qu’on les résout, tout le monde se sent atteint ou menacé dans sa liberté de conscience. Or, ce que les libres penseurs ne pardonnent pas à