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ancien pendu ; la Panthère, courtisane ; Trulla, chrétienne, ancienne mime, faiseuse de chansons ; Murrhina, chrétienne, jeune folle infanticide ; et Glubens, au nom obscène, ivrogne macabre, de son état laveur de morts. Tout cela grouille, dans une pouillerie somptueuse ; tout cela éructe des rimes inattendues et riches ; et c’est admirable, c’est du Pétrone supérieur, c’est la « chanson des gueux » de la Rome impériale.

Le drame lui-même est de peu de prix et n’est point sans banalité. Les caractères y sont, ou étrangement inconsistans, ou d’une simplicité vraiment excessive ; à vrai dire, ce ne sont que des « rôles » : Flamméola, névrosée, amoureuse du chrétien Johannès ; Johannès, chrétien doux ; Aruns, chrétien rude ; Latro, le gladiateur, amoureux de Flamméola et jaloux de Johannès ; Thomrys, la montreuse d’ours, amoureuse de Latro et jalouse de Flamméola (ajoutez Zythophanès, philosophe épicurien, le personnage le plus sympathique de la pièce, mais qui n’y intervient que comme un affectueux entremetteur au service de sa neurasthénique patronne). Le drame qui se noue (bien lâchement), entre ces personnages, est d’une conception presque ingénue. Flamméola veut s’offrir Johannès ; trois ou quatre fois, elle « tente » l’apôtre ; et chaque fois, avec une ponctualité implacable, Aruns surgit pour sauver son frère fléchissant. Dans les intervalles, Latro assassine à demi Johannès, que Thomrys dénonce ensuite et fait arrêter. Johannès est crucifié. En le voyant agoniser, Flamméola, touchée de la grâce d’Éros plus que de celle de Jésus, lui crie : « Je suis chrétienne », ce qui est pour elle une autre façon de lui dire : « Je t’aime. » Sur quoi, Latro la poignarde et se tue lui-même. — Je ne vois, dans toute la pièce, qu’une invention un peu originale. C’est quand Flamméola, ayant été admise, quoique païenne, à l’assemblée des catacombes, profite de la cérémonie du « baiser fraternel » pour coller violemment sa bouche aux lèvres de Johannès. Il est seulement étrange que l’apôtre soit à ce point benêt qu’il ait besoin d’être averti par Aruns du caractère hétérodoxe de ce baiser.

Enfin, de ce drame chrétien, le christianisme est absent. Il y a bien, au deuxième acte, une scène où Johannès console et réconforte de douces et pitoyables paroles le troupeau des misérables ; et il y en a une autre où il pardonne à son assassin et le nomme son frère. Mais tout cela est bouddhique autant que chrétien et, n’était la pureté de la forme, semblerait détaché de quelque Izéyl. Je ne jurerais pas qu’il soit une seule fois formellement question, dans toute la pièce, du péché originel ni de la rédemption. Le christianisme du poète est si flottant, si purement sentimental, qu’on dirait qu’il n’a jamais ouï