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consume. » — La raison profonde de cette coïncidence entre la destruction chimique et le fonctionnement dont Claude Bernard avait eu l’intuition, l’énergétique nous la rend saisissable. Une portion du matériel organique se décompose, se simplifie chimiquement, descend à un moindre degré de complication et abandonne dans cette sorte de chute l’énergie chimique qu’elle recelait à l’état potentiel. C’est cette énergie qui devient la trame même du phénomène vital.

Il est clair que la réserve d’énergie ainsi dépensée devra être reconstituée pour que l’organisme se conserve dans son équilibre. C’est l’alimentation qui y pourvoit ; elle fournit les matériaux ; le jeu des appareils digestifs les prépare à être assimilés, c’est-à-dire qu’il les amène à la place convenable et les y incorpore à l’état de réserves. Cette reconstitution des réserves détruites n’est pas une synthèse chimique ; c’est, comme l’a dit Cl. Bernard, une « synthèse organisatrice ». « La synthèse organisatrice, dit-il, reste intérieure, silencieuse, cachée dans son expression phénoménale, rassemblant sans bruit les matériaux qui seront dépensés. »

De là les deux grandes catégories dans lesquelles l’éminent physiologiste distribue les phénomènes de la vie animale : les phénomènes de destruction des réserves qui correspondent aux faits fonctionnels, c’est-à-dire à l’accroissement des dépenses d’énergie — et les phénomènes plastiques, de reconstitution des réserves, de régénération organique, qui correspondent au repos fonctionnel, c’est-à-dire à l’amortissement des dépenses, et au ravitaillement en énergie.

Si ce n’est pas exactement dans ces termes que Cl. Bernard a formulé sa féconde pensée, c’est au moins ainsi que ses successeurs l’interprétèrent. Ils ne firent d’ailleurs, en cela, que lui donner un peu plus de précision. Appliquant plus rigoureusement que l’éminent physiologiste la distinction que lui-même avait créée entre le protoplasma réellement actif et vivant et les réserves que celui-ci prépare, ils reconnurent qu’il fallait restreindre à ces dernières ce que l’auteur semblait attribuer aux deux catégories.

Tout ce que Cl. Bernard a dit est rigoureusement vrai des réserves. Il est facile aujourd’hui de soulever des critiques sur les incertitudes et les tâtonnemens de l’expression dont il a revêtu ses idées. L’antique adage l’excusera : Obscuritate rerum verba