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psychique ». L’unité dans le monde, la diversité dans l’esprit, c’est la doctrine fondamentale de E. Kant. Et ainsi la philosophie naturelle de notre temps se personnifierait dans les trois noms de Kant, de R. Mayer et de Carnot.

Il y aurait peu d’apparence qu’une doctrine si universelle et si bien vérifiée dans le monde physique dût s’arrêtera ses confins et rester sans valeur pour le monde vivant. Une telle supposition serait contraire à cet esprit de généralisation qui est l’esprit même de la science et qui consiste à croire à l’existence, à la constance, et à l’extension des lois élémentaires.

Les savans ont toujours procédé de la même façon dans les circonstances de ce genre. Ils ont appliqué à l’ordre, inconnu, des phénomènes vivans les lois les plus générales de la physique de leur temps : application qui s’est trouvée légitime et que l’expérience a vérifiée lorsqu’il s’agissait véritablement de lois fondamentales, application au contraire malheureuse, maladroite, repoussée comme un grossier matérialisme lorsqu’elle était faite à faux. Pour Descartes, le corps était une machine montée fonctionnant suivant les lois de la nature physique ; mais il lui appliquait des règles trop particulières en le considérant comme formé des seules machines alors connues : ressorts, leviers, pressoirs, cribles, tuyaux, cornues et alambics. Au contraire Leibniz, avait pleinement raison de dire : « Le corps se développe mécaniquement, et les lois de la mécanique ne sont jamais violées dans les mouvemens naturels. » Claude Bernard avait encore raison en appliquant aux êtres vivans le principe général de Galilée, de l’inertie de la matière, c’est-à-dire en affirmant que la spontanéité vitale n’était qu’une apparence et une illusion ; que les phénomènes vitaux étaient toujours provoqués ; qu’ils étaient la réplique à une excitation extérieure, le résultat du conflit entre la matière vivante et les agens physiques ou chimiques qui la sollicitent à l’action et qui sont toujours étrangers à elle lors même qu’ils sont logés avec elle dans l’enceinte de l’organisme.

En appliquant aux êtres vivans les lois si générales de l’Energétique, on suit donc la marche constante de la science et on se conforme à sa méthode traditionnelle. On ne peut douter qu’une telle application ne soit légitime et que l’expérience ne doive la justifier a posteriori. C’est ce qui a lieu, en effet.

Le monde vivant comme le monde inanimé ne nous offre donc rien autre chose que des mutations de matières et des mutations