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du Niger possède un ponton à Yola pour le commerce, rien de plus[1]. Ce n’est pas une occupation effective. Quant au Mouri, aussi peu vassal du Sokoto, placé sous le protectorat français, la compagnie du Niger n’en est pas plus maîtresse. Nous avons pu, par amour de la paix, ne pas y exercer d’action effective depuis 1893 ; notre modération n’a pas prescrit notre droit.

La navigation sur le fleuve et ses affluens fut proclamée libre par l’acte de Berlin, on le sait. Mais la compagnie du Niger ne reconnut pas cet acte international ! Le 19 avril 1894, elle a promulgué un Niger navigation régulation act, sans intervention du gouvernement britannique, ce que le congrès de Berlin n’avait nullement autorisé, et sans consulter les puissances coriveraines, contrairement à tous les usages suivis internationalement pour les fleuves. Elle stipule des dispositions particulières pour des villes qui sont non pas de son domaine, mais du territoire britannique de Lagos. Elle se réserve un vrai droit d’inquisition à bord des navires (déclaration de marchandises, plombage, etc.) ; c’est faire acte de souveraineté douanière. Elle impose des relâches forcées pour déclarations douanières, visites d’employés des douanes, ce qui suppose l’exercice d’un droit de transit, formellement interdit par l’acte de Berlin, qui a voulu la liberté pleine et entière de navigation pour tous les pavillons. La déclaration d’armes à bord et la permission écrite du gouverneur pour les porter est un abus ; c’est confondre le droit de surveillance et le contrôle de la navigation, que le Congrès a confiés à l’Angleterre, avec la police des navires. Pour un peu on empêcherait la France de ravitailler d’armes ses postes du Niger. Enfin que dire de l’obligation de ne faire du bois qu’en une quarantaine de points sur tout le réseau fluvial de la compagnie ?

La compagnie semble si bien persuadée de ses droits presque exclusifs sur les « eaux anglaises » du bas Niger (selon son expression, contraire à l’acte de Berlin), qu’elle a saisi en 1894 un vaisseau allemand affrété par notre compatriote, le lieutenant de vaisseau d’Agout, pour ravitailler son aviso l’Ardent, échoué sur le Niger, après y avoir pénétré « sans autorisation », ce qui était son droit. Un commerçant brêmois, M. Hönigsberg, fut aussi expulsé du Noupé, et son dépôt de commerce confisqué par la compagnie, à qui il refusait, en se conformant à l’acte de Berlin, de

  1. L’émir vient même de la forcer à supprimer son ponton.