intérêts des travailleurs. Vous pensez donc que ces intérêts sont inconciliables avec ceux du patron, même dans le cas où celui-ci voudrait agir humainement, raisonnablement. Je vous affirme que c’est là ma résolution, et cependant, vous refusez de m’aider.
— Il est vrai, reprend Streng, que je dois vous sembler illogique, puisque j’attaque votre directeur tout en refusant de le remplacer. Je ne le suis pourtant qu’en apparence. J’admets que vous désiriez exploiter l’usine plus humainement qu’on ne l’a fait jusqu’à ce jour. Mais, en serez-vous moins un capitaliste, c’est-à-dire un homme « dont le but est de tirer, par le moyen de sa richesse acquise, une plus-value des muscles et du cerveau, du corps et de l’âme de ses salariés ? Je ne puis m’employer à donner, par mon intervention, une couleur plus humanitaire à une telle situation. Ce serait en enlever l’aiguillon douloureux, et ainsi tromper les exploités sur leur situation réelle.
On le voit, la profession de foi de Streng est nette et conséquente. Elle amène Harold à le pousser dans ses derniers retranchemens, en lui demandant ce qu’il ferait s’il était lui-même propriétaire de l’usine.
— Je donnerais, répond le chimiste, à ceux qui ont créé votre fortune au prix de leur sueur et de leurs soupirs, une part, une juste part de ces richesses accumulées par eux.
Streng n’a pas à vaincre des préjugés bien enracinés chez Freeman, car celui-ci répond de lui-même :
— Vous ne faites pas allusion, naturellement, à une simple participation aux bénéfices, mais bien au don fait à chacun des ouvriers d’une part dans la valeur totale des établissemens actuels : c’est-à-dire que vous renonceriez à votre fortune en faveur de vos collaborateurs, pour ne conserver que la jouissance d’une part égale à celle qu’ils posséderont eux-mêmes.
— Oui, dit Streng, c’est bien cela. Cependant, poursuit-il, avec un scrupule qui l’honore, je ne sais si je le ferais dans le cas où je serais réellement à votre place, c’est-à-dire identique à vous-même, car j’aurais probablement alors d’autres idées. Mieux encore, « je ne sais pas jusqu’à quel point un changement soudain de ma situation actuelle influerait sur mes convictions présentes. Avec l’accroissement de sa puissance, l’idéal de l’homme se rapetisse. Un homme qui n’a rien désire tout. Un homme qui a tout ne désire rien.