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arrivent à cette conclusion, que le professeur Schalk, dont le nom veut dire « espiègle » en français, a peut-être des intentions tout opposées à celles de ses chefs, et doit nourrir secrètement quelque sympathie socialiste, puisqu’il met sous les yeux des enfans ces chiffres significatifs.

À ce moment, rentre le père, Joseph Streng, accompagné de son fils Rodolphe, dessinateur à l’usine. — Tous deux sont préoccupés d’une grave question. C’est le lendemain le 1er Mai. Les ouvriers de la fabrique Freeman ont décidé, comme ceux des industries du voisinage, de chômer ce jour-là. Mais, jusqu’à ce moment, ils réussissent moins que les autres à faire sanctionner cette décision par leurs chefs. En effet, plusieurs patrons de la région ont cédé à la crainte et ont autorisé le chômage. D’autres ont fait de même, mais non sans présenter quelques objections sur la forme que prenait la démonstration ouvrière. Scheu résume ici les reproches qui ont été adressés à la manifestation du 1er Mai, et il s’efforce d’y répondre. A l’avis de ces patrons concilians, les ouvriers eussent mieux fait de travailler le 1er Mai, et de verser les salaires de ce jour à leur caisse de secours ou de propagande. Ils citent l’exemple des ouvriers anglais, qui sont bien plus pratiques que les allemands. — Conseils assez bons peut-être, pensent les travailleurs ; leur seul tort est de venir des patrons. Pourquoi d’ailleurs les pauvres s’imposeraient-ils des sacrifices d’argent en faveur de leur cause ? Au point de vue pécuniaire, les capitalistes auront toujours le dessus. Ce qui peut assurer la victoire du prolétariat, c’est l’élan, c’est l’enthousiasme que des manifestations solennelles sont seules capables d’entretenir dans ses rangs.

Les ouvriers de l’usine Freeman rencontrent une opposition plus sérieuse que leurs voisins. Leur directeur, Schinder, est, en effet, comme son nom l’indique en allemand, le type de l’exploiteur et du tyran. Il a fait afficher un placard dans lequel il menace de renvoi immédiat tout travailleur qui ne se trouvera pas à son poste le lendemain. Les ouvriers ont pourtant une dernière ressource. Le nouveau propriétaire, le jeune Harold Freeman, est précisément arrivé d’Angleterre le jour même pour prendre possession de son héritage, et l’on peut encore espérer qu’il désavouera la mesure tyrannique de son représentant. Pour les besoins de la pièce, en effet, et par une conception qui doit sembler arriérée à certains socialistes, intransigeans et aigris, nous