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Tu mettras ma pipe à la loterie : cela te fera quelques sous. »

Les vieux parens ne sont pas toujours secourus par leurs enfans ; on les voit se plaindre dans leurs derniers écrits de leur ingratitude. « Ne pouvant trouver du travail, écrit une vieille femme, obligée de vendre des journaux aux quatre vents, ne pouvant gagner ma vie, reniée et chassée par mon fils, je n’ai qu’un seul refuge : la mort. Vendez ce que j’ai pour payer les journaux d’hier et mon loyer. » — Un commissionnaire, âgé de soixante-sept ans, écrit avant de s’asphyxier : « Je quitte la vie sans regret. Je meurs sans avoir failli à la probité et à l’honneur. J’ai un fils qui demeure à… une fille qui habite à… Ils sont tous les deux ingrats et sans cœur comme leur mère, mon indigne femme ; ils m’ont privé de leurs visites depuis quatre ans et de celles de mes petits-enfans que j’adorais. » — « Ne pouvant trouver de l’ouvrage depuis trois mois, écrit un ouvrier âgé de soixante ans, il m’est impossible de vivre, car je suis à bout de ressources. Il est vraiment triste d’en arriver là, après avoir été honnête toute sa vie. Voilà deux jours que je n’ai rien mangé du tout. Cependant, j’ai deux enfans qui gagnent largement leur vie. La fille vient juste au jour de l’an chez moi. »

D’autres parens se résignent à l’ingratitude des enfans sans trop se plaindre, et quittent sans récrimination un monde où ils sentent qu’ils sont de trop : « Si je m’en vais, écrit à un ami un ouvrier terrassier abandonné par son fils, c’est que je suis affligé de soixante-trois ans et que je suis sourd, deux défauts qui ne se pardonnent pas. D’autre part, je suis trop fier pour mendier et trop honnête pour voler. Après avoir bien pesé le pour et le contre, j’ai compris qu’au lieu d’être malheureux pour le peu de temps qui me reste à vivre, je ferai mieux d’aller me reposer pour longtemps. J’ai travaillé jusqu’à soixante-trois ans. Dans trente ans, j’ai fait trois patrons. Il y a quinze jours que mon idée est arrêtée. Ce que je regrette, c’est d’avoir dépensé quinze francs pour un revolver qui ne peut me servir qu’une fois. La seule peur que j’éprouve, c’est de me manquer.

« Figurez-vous que la mort n’a rien qui m’effraie. Je lis mes romans, je chante, je regarde mon revolver et je dors bien.


A bas les vieux,
Place aux jeunes ! »


Ils se tuent aussi quelquefois parce qu’ils refusent d’aller