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obtenir du sous-gouverneur de l’île l’embargo sur le navire chargé d’armes dont il avait mission d’accélérer le départ.

Comment, à son retour en Bretagne, fit-il accepter le piteux résultat de sa mission ? Quel mensonge servit d’excuse à l’échec volontaire de sa diplomatie ? On ne le sait pas : peut-être le mauvais effet de son ambassade se perdit-il dans la consternation que causaient aux affiliés les nouvelles de l’Est. La coalition venait d’être battue en Argonne et les bruits les plus pessimistes commençaient à circuler sur le désastre et la misère des émigrés.


La singularité des événemens qui se passaient alors en Champagne en a fait longtemps un problème historique, même pour ceux qui y ont coopéré. L’armée prussienne, victorieuse, maîtresse de nos places fortes, s’arrêtant tout à coup comme effarée et reculant lorsqu’elle est sûre de vaincre ; nos généraux prenant l’engagement de ne pas inquiéter sa retraite, voilà des faits si étranges qu’ils ont donné lieu aux plus invraisemblables suppositions. Peut-être ce que nous savons des préparatifs de la Bretagne éclaire-t-il un petit coin de l’intrigue à laquelle la Révolution dut son salut.

De l’avis unanime, c’est Danton qui a tout conduit : or, parmi les membres du gouvernement, lui seul connaissait, dès les premiers jours de septembre, l’imminence du danger qui menaçait Paris du côté de l’Ouest. Il avait appris, par Chévetel, que l’entrée de l’armée coalisée à Châlons était le signal attendu du soulèvement général de la Bretagne ; il savait que les royalistes de Paris étaient enrégimentés et prêts à une suprême tentative ; et il semble évident que tous ses efforts n’eurent qu’un but, empêcher l’ennemi d’arriver jusqu’à Châlons. C’est sur ce point qu’il concentre toutes les forces dont dispose la France ; c’est là que sont dirigées à la hâte les bandes de volontaires. La ville « n’offre plus qu’un vaste chaos où s’agite une multitude rebelle à toute discipline, et inapte à combattre » ; mais ceci importe peu ; il faut en imposer aux Prussiens, et les rapports qui leur parviennent « s’accordent tous pour annoncer la formation d’un corps considérable de nouvelles levées destinées à fermer la route de Paris ». La situation pourtant est si désespérée que les autorités de Châlons pensent à quitter la ville ; l’ordre est déjà donné d’évacuer les magasins militaires, de couper le pont de la Marne ; bien plus, on propose d’abandonner Paris, d’emmener le Roi et le trésor à Chartres, à Blois, à