vu, « resté en observation à Paris », avait pris sur Chévetel des informations et dévoilait au marquis les relations du médecin avec les chefs du parti révolutionnaire.
La Rouerie n’était pas l’homme des moyens détournés ; son caractère impétueux et franc s’accommodait mal des réticences : il brusqua l’explication et somma Chévetel de se disculper. Celui-ci ne se troubla point : loin de nier ses rapports avec Danton, il se vanta de l’avoir gagné à l’association : — « Le ministre, disait-il, n’ignore pas que la cause de la Révolution est perdue ; lui-même est attaché de cœur à la monarchie et souhaite le retour de l’ancien ordre de choses ; il partage les désirs des royalistes et veut, sans toutefois compromettre son influence sur le parti avancé, seconder les projets de la coalition en rappelant le roi au pouvoir. En ce qui concerne la conjuration bretonne, il en connaît les ressources et en approuve le but. » Et, comme preuve de ce qu’il avance, Chévetel met sous les yeux du marquis la commission qui le fait maître de toute la force armée de l’Ouest, et aussi une lettre autographe où Danton protestait de son dévouement à Louis XVI. Si grande était la loyauté du marquis, si insidieuse l’hypocrisie de Chévetel, que cette étrange confidence ne fit naître aucun soupçon. Bien au contraire, la Rouerie se félicita de cet appui inespéré : la duplicité du ministre ne lui inspira pas peut-être pleine confiance ; mais de cela il se souciait peu : ce gentilhomme pouvait-il croire à l’importance d’un Danton ? Le point capital à ses yeux était la mission de Chévetel qui lui donnait la haute main sur les troupes régulières de la contrée, en lui permettant de les déplacer à son gré et d’écarter ainsi toute résistance à sa marche sur Paris.
Ce qui prouve avec quel aveuglement le crédule chef de la conjuration bretonne tomba dans le piège qui lui était tendu, c’est qu’aussitôt, comme si ce qu’il venait d’entendre eût redoublé sa funeste confiance en Chévetel, il admit celui-ci au conseil de l’association, et le dépêcha à Jersey, pour hâter l’envoi des fusils et des munitions nécessaires à l’entrée en campagne et que Botherel retenait dans l’attente d’une occasion sûre de débarquement clandestin. Chévetel prit la mer à Saint-Malo, trouva l’île remplie d’émigrés prêts à rallier au premier signal l’insurrection bretonne : il joua si habilement son double rôle que, sans éveiller la méfiance des nombreux amis de la Rouerie cantonnés à Jersey, flattant Botherel, se faisant bien voir des Anglais, il parvint à