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d’affection qu’il gardait à cet ami des jours heureux, affection augmentée encore de cette sorte de déférence soumise qu’on éprouve pour un médecin en la science duquel on a confiance. Il reçut le docteur avec empressement, « lui parla ouvertement de ses projets, du pillage de son château, ne dissimula pas qu’il voulait pousser sa pointe ; il se plaignit de la lenteur des Princes, de la jalousie de Botherel, alors à Jersey et qui, sous prétexte de prudence, retenait par perfidie un envoi d’armes ». Il lui apprit que Ponta-vice « était en observation à Paris », lui vanta enfin l’activité de Fontevieux, alors en mission auprès des Princes et dont il attendait le retour d’un jour à l’autre. Chévetel se retira après mille protestations d’amitié et d’encouragement : le soir même, il reprenait la route de Paris, où il arriva le 2 septembre. Il se rendit, sur-le-champ, à l’hôtel de la Chancellerie, qu’habitait Danton ; mais celui-ci s’excusa de ne le point recevoir et lui donna rendez-vous pour le lendemain entre trois et six heures du matin.

À l’heure fixée, Chévetel fut introduit dans le cabinet du ministre, où se trouvait Danton en compagnie de Camille Desmoulins et de Fabre d’Églantine. Sur quel point précis roula l’entretien ? C’est là ce qu’il est impossible de connaître d’une façon certaine. Chévetel louvoyait-il encore et chercha-t-il seulement à se faire donner une mission vague, un mot signé de Danton, qui pût l’aider à jouer, auprès des conjurés, double jeu sans risquer d’être pris, le cas échéant, pour un des leurs ? Danton lui-même, dans l’incertitude où il était du dénouement de la Révolution, voulut-il, ainsi que l’assura Chévetel, se ménager un rapprochement possible avec les royalistes de Bretagne et, par ce moyen, composer avec le parti de la cour ? Eut-il simplement l’intention de fortifier le crédit de Chévetel auprès de la Rouerie, de manière à pénétrer plus avant dans les secrets de l’association ? Toutes ces hypothèses sont également admissibles ; mais les dessous de cette intrigue sont si complexes que nous devons nous en tenir au récit des faits. Or, il est certain que, sans séjourner à Paris, Chévetel partit le jour même pour la Bretagne, avec mission officielle d’accélérer la levée des troupes et de l’artillerie qu’on devait diriger vers la Champagne. Après une semaine d’absence, au plus, il rentrait à la Fosse-Ingant, où se trouvaient le marquis, Thérèse de Moëlien et quelques-uns des principaux conjurés.

Il y fut reçu très froidement. Presque en même temps que lui était arrivée une lettre de Pontavice, qui, ainsi que nous l’avons