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pareille aux cartes illustrées qu’on voit dans les vieux livres de géographie. Tout le cours du Sundering Flood y est minutieusement tracé, depuis ses sources, dans les montagnes, jusqu’à l’endroit où il se jette dans la mer. Et ce sont, sur les deux rives, des collines, des bois, des villes, des châteaux, tout cela non seulement indiqué, mais dessiné, avec une variété et une précision extraordinaires. Qu’on imagine, par exemple, une douzaine au moins de châteaux dont pas un ne ressemble aux autres, les uns dressant dans l’air des tours et des clochers, d’autres bas et massifs, d’autres ceints de remparts, ou formés d’une citadelle, au centre, avec des tours de guet aux quatre côtés. Et il n’y a pas un des épisodes du récit dont l’emplacement et l’aspect ne nous soient ainsi montrés. « C’est ici qu’Osberne a retrouvé Elfhilde », lisons-nous au-dessus du dessin d’une petite maison ; ailleurs « il a tué un cerf », ou « a livré bataille aux Écumeurs Noirs. « Et rien n’est plus agréable que de suivre, sur cette carte, le détail des moindres aventures d’Osberne, avant et après l’enlèvement d’Elfhilde : car je m’en suis tenu, dans mon analyse, à la partie sentimentale de ces aventures, mais la partie militaire, — ou, pour mieux dire, héroïque, — est peut-être plus développée encore, et l’auteur ne nous fait pas grâce d’une seule rencontre ni d’un seul combat ; de sorte que nous sommes ravis de pouvoir, par exemple, reconnaître, du premier coup d’œil, la disposition exacte du terrain où Osberne a défait les Écumeurs Noirs.

Nous sentons bien, cependant, que c’est pour s’amuser, plus encore que pour nous renseigner, que Morris a dessiné cette carte ; et c’est surtout pour s’amuser, — nous le sentons aussi, — qu’il nous a raconté les aventures d’Osberne. Son livre n’est rien qu’un jeu de poète. En vain on y chercherait une portée morale, ou même le moindre souci d’observation et de vraisemblance. Une fable, un conte d’enfant, un récit qui tient à la fois de Don Quichotte et de Daphnis et Chloé, mais qui tient davantage encore du Petit Poucet : voilà ce qu’est ce roman posthume d’un des maîtres les plus parfaits de l’art anglais d’à présent.


Et cela n’empêche pas ce roman d’être un livre adorable, si simple, si varié, si rapide, si plein de musique et de poésie, que pas un instant ses quatre cents pages ne semblent trop longues. On sent que Morris l’a écrit pour s’amuser : mais on s’amuse, peut-être, plus encore à le lire. Jamais Robert Stevenson n’a mis, dans ses récits d’aventures, autant de fantaisie et de bonne humeur : et Stevenson, avec tout son