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Étant donnés le développement de la science et le progrès général, la guerre est devenue tellement difficile et effrayante dans ses conséquences pour les deux adversaires dont, en réalité, aucun ne sera jamais victorieux, qu’elle est à peu près impossible entre nations possédant une civilisation à peu près équivalente. Il importe donc aux peuples, s’ils veulent vivre et n’être point écrasés, pacifiquement mais complètement, par les autres peuples, leurs concurrens dans la terrible lutte pour la vie, d’utiliser au mieux les richesses de leur territoire. Si l’agriculture, maintenant scientifique, profite des travaux de savans qui l’ont transformée de recueil de recettes empiriques en science positive, si l’on cherche par la connaissance du sol, par une alternance convenable des diverses cultures, par des amendemens appropriés, à tirer le meilleur parti d’un terrain, à lui faire produire un maximum de rendement, il doit en être de même pour la mer. Nous sommes, à ce point de vue, il faut bien l’avouer, dans un indiscutable état d’infériorité par rapport aux autres nations. Encore plongés dans une regrettable ignorance et insoucians des données scientifiques rigoureuses, nous ravageons nos côtes, et les statistiques montrent que la pêche est incapable de fournir le pain quotidien à ceux qui la pratiquent au prix de tant de peines, de fatigues, de dangers. Nous profitons de la mer comme les sauvages profitent de la terre lorsque, selon la comparaison célèbre, trouvant un arbre fruitier dans la forêt, ils l’abattent afin d’en recueillir les fruits. Nous ne possédons ni une carte complète et détaillée, même médiocre, des fonds marins, ni des notions précises sur les variations de température, de densité, de salure le long de nos rivages ; nous n’avons calculé l’apport en sédiment d’aucun de nos grands fleuves ; nous ignorons à quelle profondeur se font sentir les courans, et, sauf pour un très petit nombre de localités, quelle est leur direction de surface ; nous n’avons point idée des variations d’intensité qu’ils éprouvent aux diverses époques de l’année. Cette liste des données qui nous manquent ne serait que trop facile à allonger. Quelque remplies de bonne volonté que soient les mesures administratives, elles sont infructueuses si elles ne sont point l’intervention de l’autorité pour sanctionner l’application de mesures indiquées par la science. Comment s’étonner de la misère de nos pêcheurs et des conséquences fatales qui ne peuvent manquer d’en résulter pour le pays ? Le poisson forme un appoint important dans l’économie des nations. Selon des statistiques déjà un