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s’alarmer de sa quiétude. Le Prince Albert écrivait à son confident Stockmar : « Louis Napoléon désire la paix, la jouissance et le blé à bon marché », et plus tard : « Nous trouvons notre voisin et seul allié dans une position tout autre que belliqueuse. » Les Français jugeaient de même : « L’Empereur, écrivait le général Bosquet, redoute trop l’état de guerre pour ne pas tenir à deux mains les rênes et faire tous les efforts avouables pour la paix. » Victor Hugo délire :


O soldats ! quel réveil ! l’empire, c’est la fuite !
Soldats ! l’empire, c’est la peur !
Ce Mandrin de la paix est plein d’instincts placides,
Ce Schinderhannes craint les coups.
O châtiment ! pour lui vous fûtes parricides,
Soldats ! il est poltron pour vous[1].


Après l’envahissement des Principautés, son invective s’échauffe plus encore :


Tu frémis, effaré devant les Dardanelles.
O lâche !…
Malgré ta couardise, il faut combattre, allons !
Bats-toi, bandit ! c’est dur ; il le faut, Dieu t’opprime[2].


Si l’Empereur eût dirigé l’action commune, il aurait répondu au passage du Pruth par une déclaration de guerre, et aucune n’eût paru plus justifiée. Il se prête cependant aux notes, aux protocoles de Vienne et autres lieux ; il attend flegmatiquement que la patience des Anglais se lasse et que le fanatisme des Turcs se déchaîne. Stratford continue à seconder son attente secrète ; comme personne privée il déconseille les acceptations qu’il conseille comme ambassadeur. Les ulémas et les fonctionnaires turcs, arrivés au dernier degré de l’exaltation patriotique et mystique, décident à l’unanimité dans un conseil tenu sous la présidence du Sultan que la guerre est préférable à la honte : une révolte populaire paraît imminente.

L’Empereur invoque les dangers auxquels les étrangers vont être exposés, et l’impossibilité matérielle de garder les flottes dans la baie de Besica pendant la mauvaise saison et obtient du cabinet anglais toujours retenu par Aberdeen qu’une division des deux escadres, avant-garde du gros, franchirait les Dardanelles et

  1. La Reculade. — Les Châtimens.
  2. Châtimens. — La Fin.