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de force, par obtenir dans l’entreprise une place importante, quand ils ne l’accaparaient pas tout entière à leur profit. C’est ainsi que, dans l’Extrême-Orient, beaucoup d’anciennes raisons sociales anglaises ont été conquises, le mot n’est pas trop fort, par des Allemands, qui jouent aujourd’hui aux Indes et en Chine un rôle considérable. Arvède Barine le montrait ici même dans son éloquent article intitulé la Fin de Carthage. Les banques allemandes ont pris part au mouvement, soit en fondant au dehors des établissemens qui relèvent d’elles, soit en commanditant des maisons particulières, établies sur les grandes places commerçantes de l’étranger.

Un exemple choisi au hasard montrera combien cet instinct commercial est développé chez nos voisins.

Deux frères, MM. Oswald et Egon Kunhardt, qui s’intitulent modestement jeunes négocians hambourgeois, ont entrepris, avec deux itinéraires distincts, le tour du monde, et publié chacun un volume sur ce voyage, que le premier a accompli en 1 000 et le second en 777 jours. Celui-ci, dans sa préface, explique le but qu’il se propose en publiant son récit :

« Je voudrais décider ceux de mes contemporains qui hésitent à le faire, à voyager pendant leur jeunesse, à voir autant de pays hors d’Europe qu’ils le pourront, afin d’employer leur expérience, une fois revenus, pour le plus grand bien de la patrie. L’Allemagne, le commerce, l’industrie, l’agriculture allemande auront toujours besoin d’hommes qui connaissent le reste du globe autrement que par les journaux et les livres… Une vue juste des choses qui concernent notre carrière se dégage aisément dans ces conditions, pour un esprit non prévenu. »

Je cite à dessein ces lignes, qui me semblent caractéristiques. Ces deux jeunes gens, en route pour leur visite du globe, déclarent simplement qu’ils l’entreprennent dans un dessein commercial. L’un d’eux se fait commis de magasin au Paraguay, pour mieux étudier les mœurs et les coutumes ; employé de banque à Buenos-Ayres, pour y gagner sa vie pendant qu’il étudie la langue et le pays. Il s’exprime avec liberté sur les choses et les hommes ; il ne craint pas de critiquer ses compatriotes lorsqu’il les trouve inférieurs aux autres Européens qu’il rencontre chemin faisant. De tels ouvrages indiquent l’état d’esprit d’une nation qui prétend se tailler une place dans l’univers, moins encore par les armes que par la conquête pacifique et patiente des différens marchés. Un