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pas pourtant de s’entremettre auprès d’un banquier ; mais sans succès. Fontevieux, obligé de s’adresser aux agioteurs du Palais-Royal, changea avec une perte énorme.

Cette négociation quelque peu louche avait mis Chévetel et Fontevieux sur le pied de l’intimité. Ce dernier, voyant le docteur très renseigné, le crut affilié à la conjuration et se fit un devoir de lui apprendre ce qui se tramait à Coblentz : il lui narra, par le menu, le voyage de la Rouerie, sa visite au Comte d’Artois, l’assentiment du Comte de Provence ; il lui raconta comment lui, Fontevieux, servait de courrier aux conjurés, voyageant en toute sécurité, sous le couvert d’une commission d’envoyé du duc de Deux-Ponts, — dont il était le neveu, — auprès des Etats-Unis d’Amérique, commission qu’il avait obtenue de son oncle et qu’il avait pris soin de faire antidater. Il le mit au courant des projets et des forces de l’émigration, assurant qu’au printemps prochain, l’armée des Princes, renforcée de plusieurs corps prussiens, passerait la frontière et marcherait sur Paris, tandis que le peuple de toute la Bretagne, du Maine et d’une partie de la Normandie s’avancerait en armes jusqu’aux portes de la capitale, seul rempart de la Révolution, qui, prise ainsi entre deux feux, serait réduite à demander merci.

Le médecin écouta ces confidences, demanda des noms, s’enquit des principaux conjurés ; Fontevieux ne lui cacha rien de ce qu’il connaissait : quand il partit pour la Bretagne, Chévetel en savait tout autant que lui : l’intérêt de son parti l’inquiétait, au reste, si peu, qu’il se garda bien de révéler à ses amis politiques l’important secret qu’un double hasard lui avait livré : c’eût été se compromettre : il se tut, estimant que l’heure n’était pas venue d’en tirer parti.

G. LENOTRE.