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maintiendrait le statu quo à Jérusalem, mais il refusait de prendre l’engagement qui l’eût mis en état de vasselage, et rejetait l’ultimatum (20 mai). Menchikoff quitta Constantinople (22 mai). Il devint alors visible qu’il ne s’agissait plus d’un débat sur les prétentions opposées de quelques moines sectaires, ni même d’un intérêt exclusivement turc, que ce qui était mis en péril, c’était l’équilibre général et le traité du 15 juillet, œuvre particulière de l’Angleterre. L’Empereur n’eut pas, cette fois, à prendre une initiative personnelle. Le ministère anglais se montra aussi empressé que lui-même à envoyer les deux flottes, partant, l’une de Malte, l’autre de Salamine, dans la baie de Besica.

Ce mouvement simultané des deux flottes tira Nicolas de sa fausse sécurité. Il l’apprit en même temps que la nouvelle du départ de Menchikoff. Il en fut exaspéré. Il sonna et, sans consulter personne, donna l’ordre à ses troupes d’entrer dans les Principautés. Un de ses conseillers lui ayant démontré la gravité de cette résolution, il répondit : « Je sens encore sur ma joue les cinq doigts du Sultan. »

Le 22 juin, les troupes russes passent le Pruth, limite de la Russie et de la Turquie, et occupent les principautés danubiennes. Néanmoins, Nesselrode notifie aux puissances que son souverain ne voulait pas la guerre, qu’il prenait seulement une garantie en vue d’assurer la restitution de ses droits manifestes… Il avait voulu faire un acte de contrainte, non un acte de guerre.

Il fallait beaucoup de bonne volonté pour admettre cette contrainte qui n’était pas une guerre. Le désir de conserver la paix était si ardent à Vienne et à Londres qu’on y eut cette complaisance. On la poussa même jusqu’à empêcher la Turquie de se défendre. On le prit très doucement avec Nicolas et, au lieu de se plaindre, on négocia.


IX

L’Empereur, sentant l’Angleterre allumée, les craintes suscitées par son avènement détournées contre l’ambition moscovite, se garda bien de conserver l’initiative qu’il avait été contraint de prendre. Il affecte de suivre l’Angleterre. Il s’efface de son mieux, il ne parle plus que de modération, de patience, de paix, de conciliation ; il n’entame aucun préparatif militaire ; il contient si bien son désir intérieur, que les Anglais en viennent à