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chaque paroisse étaient purement locales. Il l’entreprit cependant. Mais tout autre que lui aurait reculé devant la difficulté bien autrement grande d’armer ces paysans, de leur imposer, sans que les autorités en eussent soupçon, la discipline d’un corps de troupe, de les exercer aux manœuvres militaires, et surtout d’arriver à un tel degré de confiance chez les chefs, d’obéissance chez les soldats épars, qu’en vingt-quatre heures toute la province pût se trouver debout, enrégimentée et prête à combattre. Dans chaque ville d’évêché, — chef-lieu de département, — il créa tout d’abord un conseil composé de six commissaires et d’un secrétaire, choisis indistinctement parmi les nobles, les bourgeois ou le clergé. Ce conseil, recevant directement les instructions du chef de l’association, les transmettait à d’autres commissaires siégeant dans les villes d’arrondissement, lesquels, à leur tour, les communiquaient à des commissaires cantonaux. La mission de ces conseils, — de ces cadres, pour mieux dire, — était de propager l’esprit et les vues patriotiques de l’Association, de recruter des hommes et de recueillir l’argent nécessaire. Il leur était enjoint de se tenir en relation constante avec le chef de la conjuration : la plus grande égalité devait régner entre tous les affiliés, qu’ils fussent nobles ou vilains ; on leur recommandait de n’employer que « les moyens les plus doux », et de recruter des adhérens surtout dans les milices nationales et dans les troupes de ligne. Chacun était assuré d’obtenir dans l’association un grade proportionné au nombre d’hommes qu’il attirerait à la bonne cause. Enfin tous les renseignemens concernant les recrues et le personnel étaient centralisés entre les mains du chef.

Pour le choix de ses auxiliaires, la Rouerie n’avait que l’embarras du nombre. A peine eut-il divulgué ses projets qu’il vit se grouper autour de lui des compagnons dont l’ardeur, l’intrépidité, la résistance feraient croire à une race privilégiée. Ces jeunes gens — plusieurs même étaient des enfans — montrèrent le courage des preux, l’enthousiasme des croisés. Que serait devenue cette bouillante génération, obligée de vivre dans la banalité d’une époque sans gloire ? Sont-ce les événemens qui ont fait ces hommes, ou bien leur nature aventureuse fut-elle au contraire la cause déterminante de l’épopée dont ils furent les héros ? Question oiseuse, sans doute ; mais qui se pose forcément à l’esprit frappé d’une si parfaite adaptation des caractères aux circonstances. Au premier rang, il faut placer le cousin du marquis de la Rouerie,