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croyant sûr de l’amitié de Chévetel, il lui conta son voyage à Coblentz, sa visite au Comte d’Artois, ne fit aucun mystère de son séjour parmi les émigrés : s’il ne lui détailla point le résultat de ses démarches et de ses projets contre-révolutionnaires, c’est que l’autre ne témoigna pas le désir d’en connaître davantage. Ils se quittèrent, se promettant de correspondre régulièrement, et la Rouerie regagna la Bretagne.

Cette entrevue laissa Chévetel songeur.


De retour au château de la Rouerie, le marquis se mit immédiatement à l’œuvre. Son activité avait enfin trouvé un aliment. L’entreprise le séduisait d’autant plus qu’elle flattait sa vanité et satisfaisait son amour du commandement. Cette sorte de blanc-seing que lui avait donné le Comte d’Artois le faisait presque le roi des provinces de l’Ouest, trop éloignées du camp des Princes pour recevoir d’eux une impulsion directe.

C’est ici qu’il faudrait pénétrer les dessous de cette conspiration, la plus fameuse de toutes par ses résultats, la plus importante par le nombre des conjurés et la durée de la résistance, la plus célèbre aussi par le dévouement et l’héroïsme de ses affiliés. Mais comment, après tant d’années, découvrir les premiers fils de cette vaste trame ? Où chercher la genèse d’une œuvre si complexe et si mystérieuse ? Les plus obscurs y jouaient les premiers rôles ; les plus héroïques sont restés sans historiens ; et, c’est à peine si quelques indications permettent de reconstituer le squelette de ce corps gigantesque auquel l’ardente ténacité du marquis de la Rouerie a donné la vie.

En Bretagne, plus qu’ailleurs encore, la révolution avait fait nombre de mécontens : les apôtres du nouvel ordre de choses s’y montraient, comme partout, plus tyranniques qu’entraînans ; ces bienfaiteurs de l’humanité avaient la philanthropie tracassière ; ils se figuraient apporter au peuple le bonheur tout fait et voulaient le lui imposer, ce qui éveillait la méfiance. Pourtant les paysans seraient vite revenus à leur habituelle indifférence ; les hobereaux, qui étaient nombreux, se seraient résignés ; et les privilégiés, infime minorité, auraient, faute de partisans, accepté la situation, si la persécution religieuse n’était venue aviver une aversion jusque-là toute platonique. On a dit, très justement, que la Constitution civile du clergé avait été « une torche allumée sur un baril de poudre ». Ce fut la grande faute de la Révolution :