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assertion, nous dirons qu’avec les milliers d’hommes que chez nos adversaires possibles l’ordre de mobiliser jette sous les drapeaux, une armée de métier, obtînt-elle au début quelques avantages, succomberait inévitablement un jour ou l’autre sous le nombre. Ajoutons qu’une armée ainsi composée pourrait tromper singulièrement les espérances qu’on fonderait sur elle.

Une armée de métier n’est bonne qu’à la condition d’être soumise à un entraînement incessant. Les légions romaines, sous les Empereurs, offrent le type le plus parfait d’une armée de métier. Elles étaient invincibles. Mais aussi, elles promenaient constamment à travers l’Europe leurs enseignes victorieuses. Il est inutile de rappeler ce qu’étaient les vieux soldats du premier Empire, auxquels le repos était inconnu. Sous le deuxième Empire, on eut de magnifiques armées, composées presque exclusivement de vieux soldats, tels que les donnait la loi de 1832 avec le remplacement et la substitution. La loi sur l’exonération, votée en 1855 en augmenta le nombre ; sur un effectif de 400 000 hommes, on compta un moment 260 000 rengagés ; le contingent annuel réellement incorporé s’était abaissé à 30 000 hommes. Ce sont ces armées-là qui firent les guerres de Grimée, d’Italie, du Mexique, les expéditions de Chine et de Syrie. Elles étaient ainsi tenues en haleine, et, quand la guerre de 1870 éclata, nous avions une armée excellente à laquelle il ne manquait précisément que le nombre, et peut-être un meilleur commandement. Aujourd’hui, l’état de paix est l’état normal et le restera sans doute longtemps encore. Une armée de vieux soldats, condamnée à l’oisiveté, n’ayant même pas pour s’occuper l’instruction à donner aux recrues, — car dans une armée de ce genre le nombre des incorporations annuelles serait forcément limité, — s’engourdirait dans les casernes, perdrait ses qualités, et se transformerait en une armée de piliers de cantine.

Avec les troupes coloniales sans cesse en mouvement, fréquemment détachées dans de petits postes, en contact incessant avec des indigènes desquels il est toujours prudent de se méfier, constamment à la veille de partir pour quelque expédition, nul danger semblable n’est à redouter. L’armée coloniale devra être composée exclusivement d’hommes faits, ayant tous déjà accompli trois années de service actif sous les drapeaux, âgés par conséquent, au moment de leur incorporation, de vingt-quatre à vingt-cinq ans. Nous demandons la suppression absolue des