Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/818

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministre, ayant l’armée coloniale sous ses ordres, pourra être porté à donner le pas et l’autorité aux fonctionnaires de son administration sur les chefs de troupes et de détachemens, quels que soient leurs grades. Il en résulterait des froissemens, des mécontentemens qui dégénéreraient bientôt en un état permanent d’hostilité ouverte entre deux classes de serviteurs du pays dont le devoir serait de faire concourir leurs efforts au bien du service. Dans le projet de loi du gouvernement, nous trouvons un article qui règle les rapports du commandant supérieur des troupes dans chaque colonie avec le gouverneur ou le résident général. Les termes de cet article qui du reste n’est pas à sa place, — une disposition de cette nature ne devant pas figurer dans une loi militaire, — sont à la rigueur acceptables ; nous admettons à regret qu’un général de division comptant de longs services et de nombreuses campagnes soit « placé sous les ordres » d’un jeune résident général entré de la veille peut-être dans la carrière et qui n’a encore rendu à son pays que des services peu appréciables. Mais l’unité de direction le veut ainsi.

Toutefois nous ne saurions admettre que le ministre profitât de ce que l’armée coloniale est soumise à son autorité pour étendre cette subordination à tous les degrés de la hiérarchie. Avec certains administrateurs subalternes, des abus se produiraient bien vite ; il pourrait s’en trouver qui n’aient pas une idée très nette du respect dû à l’armée. Le fait suivant s’est produit, il n’y a pas très longtemps. Un tirailleur annamite en congé dans son village ayant manqué de respect à un mandarin, celui-ci le fit saisir et le condamna à la peine dégradante de la bastonnade. Le tirailleur était en uniforme. L’administrateur civil présent sur les lieux avait approuvé. L’autorité militaire prévenue tardivement protesta contre ce traitement ignominieux infligé à un soldat au service de la France et portant un uniforme français. Mais le fait était accompli.

Pour que le rattachement de l’armée coloniale au Ministère des Colonies soit possible, il sera donc indispensable de fixer législativement les rapports des autorités militaires avec les autorités civiles et d’établir par un règlement d’administration publique, analogue au décret, tant de fois invoqué et toujours en vigueur, de messidor an XII, le rang entre eux et les préséances de tous les fonctionnaires employés aux colonies. Loin d’être sacrifiée et traitée avec ce sans-gêne dont on est quelquefois porté à en user