Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le passé. Devant la France consultée, les évêques prennent parti pour le roi, sans s’inquiéter s’ils paraissent prendre parti contre la Charte et sacrifier les libertés publiques à l’intérêt religieux. A cette faute, les révolutionnaires gagnent le double avantage de défendre la liberté et de la défendre contre l’Église. C’est pourquoi, soulevant jusque dans les profondeurs de l’âme humaine les passions les plus jalouses et les plus universelles, la lutte électorale entraîne dans une mêlée furieuse tous les Français, même ceux qui n’ont pas le droit de vote. Elle se termine par la défaite commune de la royauté et de l’Eglise. Il ne reste plus à Charles X, pour recouvrer son autorité compromise que la chance d’un coup d’Etat. Il le tente, fournit ainsi aux hommes de violence le prétexte qu’ils attendaient, et, sous la ruine du trône, une idée demeure ensevelie : c’est la solidarité du pouvoir religieux et du pouvoir politique.


Pendant quinze années, l’Eglise avait sans compter donné son dévouement au Prince. Qu’avait-elle obtenu en retour ? De l’argent, des respects extérieurs, des sanctions pénales à deux de ses préceptes sur l’indissolubilité du mariage et le repos dominical, quelques places de sûreté, où, comme les protestans d’autrefois, elle demeurait sauve mais close. L’Etat demi-chrétien et demi-philosophe, qui garantissait à tous les cultes une égale liberté et à chaque Français la liberté de n’avoir aucun culte, ne pouvait exercer d’apostolat, et avait empêché l’Eglise de l’exercer elle-même. Le catholicisme était un culte autorisé à certaines manifestations, durant certaines heures, en certains lieux, et remis à un collège officiel de prêtres : il présidait à la naissance, au mariage, à la mort, presque absent de la vie. Mais le zèle de « l’esprit qui souffle où il veut », qui emploie toutes les heures, tous les moyens, tous les apôtres, qui par l’infinie variété de ses ardeurs et de ses œuvres lutte contre les maux de la vie, contre la dureté des cœurs, et constitue la grande puissance de la religion, n’avait pas le droit de se répandre sur la France. Charité, éducation, groupemens de vertus, de ressources, d’hommes au service de Dieu, tout ce qui était spontané, tout ce qui était indépendant, tout ce qui était durable, était illégal. L’Eglise de France avait abandonné les chances de conquête pour la certitude de n’être pas dépossédée, l’espoir d’inspirer la société pour l’avantage de compter dans l’État. Et comme, dans l’action de ce clergé docile