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puissante sur la conscience de Charles X, avait persuadé le roi que parfois un prince, en cédant de ses pouvoirs, accroît sa puissance, et obtenu qu’il proposât la liberté d’association et d’enseignement, l’Eglise et la monarchie par cette nouvelle alliance auraient rajeuni leur antique force. Que ces lois fussent établies, l’Eglise gardait dans la mémoire de la France l’honneur de les avoir demandées ; elle rendait ses propres droits intangibles en laissant croître autour d’eux, et par la fécondité de la même sève, les droits des autres ; elle intéressait tous les Français à la permanence de ses libertés, portion des libertés publiques. Que le parti libéral, sommé d’être fidèle à ses promesses, combattît et empêchât ces lois, l’hypocrisie jacobine était dès lors percée à jour, et le débat bien posé entre les révolutionnaires qui, sous prétexte de ne pas accorder la liberté aux catholiques, la refuseraient à tous, et les catholiques assez confians en elle pour la préférer à la faveur du pouvoir. Si enfin Charles X, opposant aux catholiques eux-mêmes son idolâtrie de la royauté absolue, eût pris la voie qui mène aux coups d’État, du moins s’y serait-il engagé seul et l’on n’aurait pas songé à venger sur l’Église les fautes des Bourbons. Il y a des heures mères d’un long avenir.

Mais à ce moment le clergé, contre lequel et sans lequel les catholiques ne sauraient tenter cette politique nouvelle, ne la veut pas encore. Sa raison nourrie de dogme ne se résigne pas encore au pis aller de la liberté. Son cœur plein des Bourbons se briserait lui-même à rompre l’union mystique où il tient confondus les intérêts de l’Eglise et du trône. Tandis que grandit et se rapproche la menace des Ordonnances, le clergé se tait et négocie. Mgr Frayssinous, tombé du pouvoir avec le ministère Villèle, mais demeuré personne agréable au prince, a reçu du roi la confidence des projets qui se préparent. Dans les deux semaines qui précèdent la publication des Ordonnances, il se rend cinq fois à Saint-Cloud ; il discute avec fermeté, il a le courage de sa pensée parce qu’il la soumet au prince et que, demeurant secrète, elle ne fournira jamais argument à personne contre le roi, il associe le désir d’être utile au besoin de plaire, il traite l’intérêt de l’Église comme une de ces affaires pour lesquelles on saisit l’opportunité du moment, de l’humeur, et qu’on pousse, entre deux parties, au jeu du roi. Et dès que le roi, sans nier l’iniquité des mesures, les déclare nécessaires à la sécurité de sa couronne, l’évêque est à bout d’objections. La même réponse réduit au même silence le