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souveraine. Sauf elle, personne n’était admis à consulter ces archives de ses inconstances, à opposer ces volontés mortes à la volonté vivante du Prince. À cette unité s’était substituée la division des pouvoirs législatif, judiciaire, et exécutif. Celui-ci, bien que le premier par le rang, ne disposait plus des deux autres, et leur était, à certains égards, subordonné. La politique même, fonction royale par excellence, était confiée à des ministres qui devaient obtenir, outre la confiance du Prince, celle des Chambres. Les droits d’initiative et de sanction permettaient au Prince d’empêcher toute loi contraire à ses desseins, mais, pour créer celles qu’il désirait, il fallait le vote du Parlement. Appliquer les lois appartenait à une magistrature que le roi n’avait plus le moyen de contraindre ni de dessaisir.

Les magistrats de la Restauration se rattachaient, plusieurs par leurs anciens services, un grand nombre par leurs familles, aux vieux corps de judicature ; presque tous en perpétuaient l’intégrité, la vie grave, les préjugés jansénistes et régaliens. Ils croyaient trop nécessaires, pour ne les pas croire encore en vigueur, les textes établis par les rois et appliqués par les parlemens contre les clercs. Il fallait réveiller cette guerre des deux robes. Que le Prince laissât faire, l’Eglise ne reconnaîtrait plus le régime de protection espéré par elle, se plaindrait de la royauté, et la mésintelligence ainsi glissée entre l’un et l’autre pouvoir les affaiblirait l’un par l’autre. Que le Prince tentât de défendre l’Eglise, il paraîtrait méconnaître sa propre tradition, se rebeller contre les interprètes naturels du droit. Et, dans ce renversement des rôles, les révolutionnaires, champions de la magistrature, frapperaient par elle la monarchie et le catholicisme ; deviendraient rassurans comme des hommes de légalité ; et, sous prétexte de prêter main-forte à la justice, guetteraient, l’opportunité de ces violences heureuses où se surprend le pouvoir. Voilà pourquoi la lutte religieuse prit alors l’aspect d’un conflit judiciaire, pourquoi l’impiété trouva profit à s’embusquer dans la chicane, pourquoi les représentans des idées nouvelles se firent collecteurs de vieux textes.

Si pourtant les incrédules notoires avaient dû invoquer les premiers les traditions de l’Eglise gallicane, et les adversaires de la monarchie manifester des sollicitudes pour les prérogatives de la royauté, l’impudeur eut été trop scandaleuse. Mais le gallicanisme survivait en certains hommes, royalistes incontestés et chrétiens