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d’un filet jeté sur la France entière, un formidable instrument de police et d’influence. La congrégation de Paris avait eu pour fondateur et avait gardé pour aumônier un jésuite : trop heureux prétexte de compromettre un nom fameux et impopulaire ! Les jésuites étaient alors en France moins de cinq cents[1] : ce fut un article de foi pour tout libéral que, dans leur seul noviciat de Montrouge, ils étaient plus de trois mille ; que, de robe longue ou courte, ils vivaient, partout invisibles, partout présens, partout ambitieux, partout inspirateurs d’une conspiration permanente contre la société moderne. Les conspirateurs véritables, toujours engagés dans les liens des sociétés secrètes, à peine sortis de l’action révolutionnaire, se trahissaient eux-mêmes par cette terreur feinte ou réelle du complot catholique : elle était l’aveu qu’ils tenaient la conspiration pour le secret de gouverner les hommes. Ils surent du reste manier avec une impudence habile tous les moyens par lesquels les idées et les bruits se répandent. En moins de deux ans, l’ambition ecclésiastique et les périls de la société moderne devinrent la grande affaire de la tribune, de la presse et des entretiens ; et les accusations les plus dépourvues de preuves paraissaient les plus certaines à la multitude, qui toujours préféra aux faits les légendes.

Charger l’atmosphère de soupçons et de haines était quelque chose : faire tomber l’orage enflammé sur l’Eglise était plus difficile. Des « libéraux », semble-t-il, ne devaient s’élever contre les privilèges obtenus ou rêvés par le catholicisme qu’en lui offrant sa part de droit commun, or ces libéraux ne voulaient l’indépendance du catholicisme ni dans l’avenir ni dans le présent. Ils ne pouvaient s’armer contre elle de lois nouvelles, que ni la Chambre ni le roi n’eussent consenties. Mais les mesures d’arbitraire et de rigueur étaient nombreuses dans les lois anciennes, et, sous un gouvernement constitutionnel, ces lois devenaient plus redoutables à la religion que sous l’ancien régime. Autrefois investie non seulement du pouvoir exécutif, mais du pouvoir législatif qu’elle exerçait seule au nom de son « bon plaisir », et du pouvoir judiciaire qu’elle contraignait au besoin par ses « lits de justice », la royauté liait tout et rien ne la liait elle-même. Les mesures tantôt de paix, tantôt de guerre, qui réglaient ses rapports avec l’Église étaient les états successifs d’une volonté toujours

  1. En y comprenant les novices, étudians et frères coadjuteurs, ils étaient 391, en 1825 ; 476, en 1826 ; 436, en 1827.