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livrer l’homme isolé à la toute-puissance de l’État, avait transformé à notre image les peuples soumis à nos armes ou à notre influence, et partout élevé la même architecture de caserne. La première liberté eût donc été pour chaque peuple celle de revenir aux mœurs de son âge et aux inspirations de son génie particulier. Si quelque similitude de mesures devait préparer la variété de cette autonomie, c’était contre les usurpations uniformes d’un législateur systématique. Des réformateurs vraiment soucieux d’indépendance l’auraient avant tout voulue pour la religion et pour la justice, car l’ordre est détruit jusque dans son principe quand les deux autorités chargées d’enseigner le devoir et de donner une sanction au droit se trouvent à la merci de ceux qu’elles ont à contenir. Ces premiers fondemens de l’indépendance établis, des hommes dévoués à ses progrès auraient eu hâte de mettre à son école, dès le commencement de la vie, les générations nouvelles, et donné à la fois aux fils et aux pères la liberté d’enseignement. Ils auraient revendiqué comme non moins éducatrice, comme utile à tous les rangs sociaux, applicable à tous les intérêts, la liberté d’association ; ils auraient révélé aux plus isolés dans la pauvreté et l’ignorance, aux plus retranchés dans l’égoïsme, que, mystère admirable, l’homme recueille toute la fécondité de son effort quand il cesse de travailler pour soi seul. C’est aux citoyens préparés par la vie collective des sociétés privées qu’ils auraient remis, comme une extension naturelle, le gouvernement des sociétés permanentes et publiques, la commune, la province ; confiant d’abord à ces novices la gestion des affaires les plus proches et les plus simples, ils les auraient peu à peu élevés à l’intelligence d’affaires plus lointaines et complexes, enfin, au gouvernement des intérêts nationaux et à l’habitude des droits les plus difficiles à exercer, la liberté de la presse et le régime parlementaire.

Or, ni les prétentions de l’État sur l’Église, ni sa mainmise sur la justice, ni son monopole sur l’éducation, ni l’étouffement de toute vie locale, ni la défense à l’homme de s’évader de sa solitude ne préoccupaient alors les libéraux. Ils restreignaient leurs exigences à trois garanties : la liberté de la presse, le régime parlementaire, la garde nationale. Par la liberté de la presse, disaient-ils, le peuple apprendrait à connaître ses affaires et les hommes dignes de sa confiance ; par le régime parlementaire, il emploierait les facultés de ses élus à gouverner l’État ;