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intentions de l’Empereur. « Vraiment ? lui riposta Cavour avec un sourire narquois, voici une lettre de Paris dans laquelle on me dit le contraire. »

On discute à quel titre les plénipotentiaires piémontais seront admis au Congrès de Paris. — « Uniquement dans les discussions qui les intéressent, dit Walewski le matin à la Marmora. — Dans toutes », lui affirme le soir même l’Empereur.

En 1866, Drouyn de Lhuys décourage l’annexion à la Prusse des duchés de l’Elbe. L’Empereur la favorise.

Quand Charles de Hohenzollern, candidat des Roumains à la succession de Couza, fait indirectement interroger à Paris, sur les intentions du gouvernement français, on lui répond au nom du ministre : « L’Empereur ne reconnaîtra pas le fait accompli. » Au nom de l’Empereur, on lui transmet une invitation pressante de créer le fait accompli. Ce fait accompli, Drouyn de Lhuys s’irrite, l’Empereur est satisfait. A tout instant notre récit révélera de telles contradictions.

Cette diversité apportait un inappréciable dommage aux affaires. Ces politiques multiples se gênaient, se croisaient, se heurtaient, s’annulaient et par-là prenaient toutes un air de duplicité. Les diplomates étrangers, attentifs ou bien informés, savaient où il fallait chercher la véritable pensée dirigeante et reconnaissaient la mince autorité de la diplomatie officielle. « Il n’est que trop vrai, écrivait Cavour à un de ses agens, que l’Empereur est très mal servi par ceux qu’il charge d’être les interprètes de sa politique. Walewski et la plupart des agens politiques de la France à l’étranger ne représentent que les petites passions qui fermentent dans les salons, ou, pour mieux dire, dans les antichambres des Tuileries, et nullement les grandes idées que l’Empereur mûrit dans son esprit[1]. »

Du reste, l’Empereur lui-même dévoilait cette situation à ceux qui auraient pu l’ignorer. Il disait à Goltz, l’ambassadeur prussien[2] : « Une déclaration d’un de mes ministres n’aurait pas d’importance. Je sais seul quelle sera la politique extérieure de la France. »

Le scabreux était que parfois la déclaration du ministre prévalait sur celle de l’Empereur. Alors ceux qui cherchaient une pleine certitude ne savaient plus que penser. Les faibles allaient

  1. A Jocteau. 7 juillet 1858. Au prince Napoléon, 1er juillet 1859.
  2. Sybel, t. IV, p. 278.