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répondre de ce qu’il y fera, et si les précautions qu’on a prises dans le passé pour limiter son action à un petit nombre de points ont été efficaces, ce n’est pas une raison pour qu’elles le soient toujours. Il faudrait donc, pour justifier une révision, que le besoin en fût urgent et senti par tout le monde. Il faudrait, par exemple, puisqu’il s’agit de réduire les droits du Sénat, qu’il en eût abusé au point de compromettre la marche générale des affaires et de rendre impossible le jeu de nos institutions. En a-t-il été ainsi ? Voilà vingt-trois ans que la Constitution fonctionne : le reproche qu’on a pu faire au Sénat a-t-il été de sortir de ses attributions, d’empiéter sur celles de la Chambre, d’imposer sa volonté par tous les moyens et de la faire prévaloir sur celle du suffrage universel direct ? Ne serait-il pas plus juste de lui adresser le contraire ? Le Sénat est allé bien rarement jusqu’au bout de son droit. Il a plutôt montré une condescendance excessive à l’égard de l’assemblée du Palais-Bourbon. Tout cela est vrai ; mais il a renversé M. Bourgeois ! C’est le seul grief que l’on puisse énoncer contre lui. Il ne s’agit pas, dans l’esprit de ceux qui demandent la révision, d’un grand intérêt national à satisfaire, mais seulement d’une rancune à venger. Voilà pourtant tout le programme radical : il se réduit à l’impôt sur le revenu amendé, adouci, expurgé, et à la révision de la Constitution sur un point où la Constitution s’est montrée particulièrement inoffensive. C’est peu pour un grand parti ! M. Bourgeois l’a si bien senti que, ne sachant plus quels progrès promettre, il a promis de ne point laisser toucher aux progrès accomplis. Ce sont, en effet, des progrès infiniment précieux pour lui que les lois qu’on a pris l’habitude d’appeler intangibles, — comme s’il pouvait y avoir des lois intangibles ! Dites que vous n’avez pas l’intention d’y toucher, soit ; mais cela suffit politiquement et même grammaticalement parlant. Nous connaissons ces lois ; du moins nous avions cru les connaître ; M. Bourgeois en a tout d’un coup augmenté le nombre. Elles étaient deux, il en a fait trois. La première est la loi scolaire, la seconde est la loi militaire ; mais nous n’aurions certainement pas deviné quelle était la troisième si M. Bourgeois ne nous l’avait pas dit, car c’est la loi sur le droit d’accroissement. Attacher indissolublement la République au droit d’accroissement, ou le droit d’accroissement à la République, est une conception tout à fait imprévue. On peut soutenir qu’il y a un principe, — vrai ou faux, peu importe en ce moment, — appliqué dans la loi militaire ou dans la loi scolaire ; mais dans le droit d’accroissement, il n’y a jamais eu qu’une intention et une machine de guerre. Au reste, nous ne discutons pas ; nous nous contentons d’exposer le programme radical en son entier :