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n’est exceptionnellement, que des extraits des dépêches reçues ; il demandait rarement à connaître celles expédiées.

Enfin, il prit l’habitude, dans les occasions solennelles, de traiter directement avec les ambassadeurs, en dehors de ses ministres auxquels il ne pouvait se fier. Aucune pratique n’est plus contraire aux saines maximes d’Etat. Les princes ne doivent traiter que par des intermédiaires ; et en effet, l’on peut prouver que les princes, même excellens, réussiront moins bien par eux-mêmes que par l’organe de ministres, même médiocres[1]. « C’est toujours une marque de faiblesse aux princes, dit Wiquefort, de donner leur confidence à des ambassadeurs étrangers. Jean d’Albion, ambassadeur de Ferdinand et d’Isabelle, à la cour de France, était fort bien avec le roi Charles VIII ; de sorte qu’il avait ses audiences secrètes toutes les fois qu’il voulait, et il quittait sa gravité d’ambassadeur pour se faire donner audience aux heures indues. Ferdinand s’en trouvait fort bien et le renvoyait souvent en France, parce qu’en ce temps on ne savait pas encore ce que c’étaient que des ambassadeurs ordinaires ; mais cette familiarité de l’ambassadeur et les artifices de frère Jean de Mauléon coûtèrent le Roussillon à la France[2]. »

Les souverains rompus au métier caressent les ambassadeurs, leur prodiguent les honnêtetés publiques, les politesses les plus attentives parce qu’ils représentent la personne du souverain, et qu’un manquement à leur égard serait une des causes les plus inévitables de guerre ; ils ne leur accordent pas, sans précaution, les accès particuliers ; ils se réservent, avant de les admettre à leur audience, de savoir de quel sujet ils veulent les entretenir, de délibérer et d’examiner, afin de ne pas être pris à l’improviste et de ne pas dire trop ou trop peu. « Louis XIV n’a jamais traité avec pas un ; il savait d’avance quelle serait la matière de l’audience demandée, répondait courtement et sans jamais enfoncer, ni s’engager encore moins ; si le ministre insistait, ce qu’il n’osait guère, il lui disait honnêtement qu’il ne pouvait s’expliquer davantage en lui montrant Torcy, qui était toujours présent, comme celui qui savait ses intentions et avec qui le ministre pouvait traiter[3]. »

Napoléon Ier, qui connaissait d’instinct tous les ressorts de l’art de gouverner, écrivait à Murat, roi de Naples (30 septembre 1809) :

  1. Napoléon, 29 mars 1815.
  2. Mémoires sur les ambassadeurs.
  3. Saint-Simon.