paysans n’ont pas lu les discours de M. Jaurès, ou, s’ils les ont lus, ils n’y ont pas compris grand’chose. Ils sont restés réfractaires aux séductions du collectivisme. M. Bourgeois l’a parfaitement compris, et, dans tous ses derniers discours, il s’est appliqué à distinguer sa cause de celle de M. Jaurès et de M. Jules Guesde. On les a vus autrefois voter ensemble ; mais cela ne veut pas dire qu’ils pensent de même, et ils prennent grand soin de l’établir. Ils ne veulent pas qu’on les confonde.
Les socialistes regardent l’impôt sur le revenu comme fort peu de chose : c’est tout au plus, à leurs yeux, une pierre d’attente, destinée à disparaître dans l’édifice avenir. Les radicaux ne l’envisagent pas de la même manière. Au fond, ils sont un peu effrayés de l’audace qu’ils ont eue en présentant cet impôt, et ils avaient grand besoin de l’imperturbable confiance de M. Doumer pour entretenir la leur. En tout cas, ils ne veulent pas, pour le moment, aller plus loin, et ils font même, sans le dire, toutes sortes d’efforts pour revenir un peu en arrière. Ils parlent toujours en termes magnifiques de l’impôt général et progressif sur le revenu, et on pourrait croire, à les entendre, qu’il s’agit toujours de celui qu’ils ont présenté, il y a deux ans et demi : en réalité, il n’en est déjà plus tout à fait ainsi. Ils ont peu à peu corrigé, atténué, diminué leur conception première, de manière à la rapprocher des réformes que les modérés ont imaginées eux-mêmes et dont ils poursuivent l’exécution. Mais, s’ils ont fait des sacrifices sur la chose, ils tiennent toujours au mot, en quoi ils ont raison, car s’ils renonçaient au mot, après avoir en grande partie renoncé à la chose, que leur resterait-il ? Ils n’exigent déjà plus la déclaration que le contribuable devait faire de son revenu dans leur système primitif, ou du moins ils rendent cette déclaration facultative. Ils s’efforcent de découvrir le revenu imposable d’après des signes extérieurs, ce qui est le système actuel, celui auquel les modérés sont toujours restés fidèles, et qu’ils n’ont jamais refusé d’améliorer. Ils reconnaissent les inconvéniens d’une taxation arbitraire, et du contrôle exercé par des commissions locales. Ils avouent s’être trompés en voulant imposer également les revenus du capital déjà formé, acquis, thésaurisé, et les revenus du travail. Ils sont prêts enfin à faire un si grand nombre de concessions, qu’ils commencent à se retourner du côté des modérés et à leur demander : Où est donc entre nous la différence ? Si cela continue, elle deviendra effectivement difficile à saisir. Les modérés ont toujours voulu atteindre le revenu, et tout leur système d’impôt n’a pas d’autre objet que celui-là. Ils se sont bornés à dire que la méthode radicale pour obtenir ce résultat était maladroite, rudimentaire et