autour de lui par les maximes et les règles communes, qu’une nation qui, la veille encore, semblait ne s’occuper que de ses plaisirs et qui subitement se passionnait pour de grandes idées, obligerait l’Europe à compter avec sa noble folie. En 1792, quand la guerre sera déclarée et que les sages prédiront la défaite des Français, Arthur Young croira à leur victoire : « S’ils aimaient le despotisme, écrira-t-il, il y aurait quelques chances pour que les Autrichiens et les Prussiens sortissent vainqueurs de la lutte, et alors ce serait par la France que la France périrait ; mais l’attaque sera hérissée de difficultés dans un pays où tout homme, toute femme, tout enfant sera un ennemi défendant sa liberté. »
Tout en décrivant la France telle qu’il la voyait, il s’est peint lui-même dans son livre. Cet observateur sagace et pénétrant avait l’amour des détails : « Que serait la vie, disait-il, si on en retranchait les bagatelles ? » Il pensait que les bagatelles caractérisent une nation mieux que les grandes affaires, que ce sont les sentimens de tous les jours qui donnent une couleur à sa destinée, que dans le conseil, dans la victoire, dans la défaite, dans la mort, l’humanité est toujours et partout la même, que les riens font plus de différences, et les riens auxquels les Français attachaient du prix lui paraissaient témoigner de leur heureux naturel. Il était le plus sociable des hommes, il se sentait à l’aise dans les compagnies les plus diverses et séduisait tout le monde par les agrémens de son esprit naturel et facile, par l’aménité de son commerce. Il avait beaucoup de liant, l’humeur enjouée, joviale. On essuie toujours en voyage des contretemps, des mésaventures : ni les moustiques ni les punaises, ni les auberges sales, ni les aubergistes qui écorchent les passans, ni sa jument de selle qui s’avisa de devenir aveugle, ne triomphèrent de sa gaîté naturelle : « M. Fox a couché hier à Amiens, et on s’étonnait qu’un si grand homme voyageât si simplement. Je demandai quel était son train. Monsieur et sa maîtresse étaient dans une chaise de poste anglaise, leurs gens suivaient dans un cabriolet ; un courrier français courait devant, et les chevaux de relais étaient toujours prêts. La peste soit d’une jument aveugle ! Mais j’ai travaillé toute ma vie ; lui, il parle. »
Il était à la fois un grand travailleur et un épicurien raffiné. Il se plaisait à fatiguer ses jambes à la seule fin de se procurer « l’entrain du dîner qui couronne le jour. » Il posait en principe « que quelque chose au-delà de la modération met l’excitation du corps à l’unisson de celle de l’esprit, et la bonne compagnie est alors délicieuse. » Durant son séjour au château de Liancourt, il chassa souvent le lièvre