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l’application des plus grands esprits mathématiques de Descartes à Leibniz.

L’homme peut supporter un fardeau sans fléchir ni bouger : c’est un poids, c’est-à-dire un corps ou une masse sollicitée par la force de la pesanteur qui exerce son action sur lui, et l’homme résiste à cette force, de manière à en empêcher l’effet. Or, cet effet, s’il n’était annihilé par l’effort de l’homme, serait le mouvement ou la chute du corps pesant. L’effort équilibre donc la force ; il lui est égal et opposé et il donne à l’homme qui l’exerce la notion consciente de force, c’est-à-dire de l’action qui peut produire ou empêcher le mouvement.

L’activité musculaire de l’homme peut être mise en jeu d’une autre manière encore. Quand on emploie des ouvriers, comme le dit Carnot dans son Essai sur l’équilibre et le mouvement, il ne s’agit pas « de savoir les fardeaux qu’ils pourraient porter sans bouger de place », mais plutôt ceux qu’ils pourraient transporter. « C’est de cette manière que l’on entend le mot force, lorsqu’on dit que le cheval équivaut pour la force à sept hommes ; on ne veut pas dire que, si sept hommes tiraient d’un côté et le cheval de l’autre, il y aurait équilibre, mais que, dans un travail suivi, le cheval à lui seul élèvera par exemple autant d’eau du fond d’un puits à une hauteur donnée, que les sept hommes ensemble, dans le même temps. » Il s’agit ici de cette seconde forme d’activité musculaire que l’on nomme, en effet, en mécanique, le travail, au moins si l’on veut bien, dans la citation précédente, ne pas accorder d’importance spéciale à ces mots : « dans le même temps » et ne retenir que l’emploi de l’activité musculaire dans un régime suivi. Le travail mécanique se compare à l’élévation d’un poids à une certaine hauteur : il se mesure par le produit de la force (entendue dans le sens de tout à l’heure, c’est-à-dire comme cause de mouvement ou obstacle au mouvement) par le déplacement dû à ce mouvement. L’unité est le kilogrammètre, c’est-à-dire le travail nécessaire pour élever un poids d’un kilogramme à la hauteur d’un mètre.

On remarquera que le temps n’intervient pas dans l’estimation du travail : la notion est dégagée des idées de vitesse et de temps. « La lenteur plus ou moins grande que nous mettons à exécuter un travail ne peut servir à mesurer sa grandeur, pas plus que le nombre d’années qu’un homme aurait mis à s’enrichir ou à se ruiner ne pourrait servir à évaluer le chiffre actuel de sa fortune. »