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rester quelque chose à dire des grands services que le Rhône a rendus aux pays que baigne son cours inférieur, et de ceux qu’il est encore appelé à leur rendre.


I

Le Rhône, aux temps préhistoriques, se jetait à la mer dans un golfe de forme triangulaire dont le sommet était à Tarascon et la base de Fos à Cette. L’immense plaine qui remplit aujourd’hui cet espace est la création ou l’œuvre du Rhône et sa formation est le premier des bienfaits que nous devons à ce fleuve. Cette formation a eu plusieurs phases distinctes. A l’origine, un cataclysme inconnu a jeté dans le lit du golfe la couche de cailloux agglomérés qui forme le substratum du Delta et dont une partie émerge encore dans la Crau. C’est sur cette couche que le fleuve est venu apporter le dépôt plus ou moins lent de ses limons. Si nous en jugeons par la puissance du glacier qui donnait naissance au Rhône à l’époque quaternaire, les premiers dépôts qui ont suivi le diluvium ont dû être aussi rapides qu’abondans. Ce glacier s’étendait sur quatre cents kilomètres de longueur et sur une largeur de cent kilomètres au moins. Son épaisseur atteignait en certains points jusqu’à treize cents mètres. Il est évident que le débit de l’émissaire de cette masse énorme de glace devait être de beaucoup supérieur au débit actuel, et que la puissance d’érosion et la faculté de dépôt du fleuve étaient proportionnées à son débit. A mesure que les glaciers ont reculé, la masse des eaux auxquelles ils donnaient naissance a diminué, en même temps que la quantité de limon transportée. Aujourd’hui, le glacier du Rhône n’a plus que huit ou dix kilomètres de développement. Le Rhône, à la hauteur moyenne de 2m, 66 au-dessus de l’étiage, débite à Arles 3 093 mètres cubes à la seconde, et l’apport annuel de ses dépôts à la mer est évalué à 17 millions de mètres cubes. Les trois quarts de ces dépôts sont entraînés au large par les courans, un quart environ se soude à la terre ferme. Ce rapport correspond théoriquement à un gain annuel sur la mer de 400 hectares.

Les dépôts charriés par le Rhône, en se décantant dans l’eau calme et pure de la mer, ont formé des alluvions qui ont successivement transformé le golfe préhistorique d’abord en lagune, puis