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ajoutés au dernier volume de son théâtre, s’ils ne sont pas un désaveu formel des idées de sa vie entière, restent volontairement évasifs ou se réduisent à des constatations désespérées et désespérantes : « Une loi destinée à enrayer les catastrophes des amours illégitimes, si elle passait, modifierait-elle quelque chose ?… Aujourd’hui, le mariage se disloque, la famille se démembre, la maternité abdique… Si cela continue, dans dix ans, non seulement le mariage, mais l’amour n’existera plus, ou il n’aura plus qu’un sexe. Ce ne sera pas Thèbes que Phryné offrira de rebâtir avec l’argent des débauchés imbéciles ; ce sera Lesbos ; et l’adultère sera glorifié par les poètes de l’avenir comme la dernière forme idéale et digne de respect des amours d’autrefois. Qui nous rendra l’immoralité d’Antony ? »

Devant cette vision des temps futurs et prochains, parfois la mélancolie aiguë du vieux lutteur se tourne en paradoxes d’une verve stridente et macabre : « J’ai regretté de ne pouvoir haïr. La vie est souvent bien monotone, bien longue, bien pâle, quand la fatigue succède à un travail trop prolongé et que l’on est condamné à l’inaction et au repos… Haïr son prochain doit être une des bonnes raisons d’aimer l’existence… Si vous ne comprenez pas cette volupté-là, vous n’êtes pas digne de l’âme immortelle que le Dieu d’amour et de miséricorde vous a donnée. » Parfois aussi, l’écrivain désabusé semble chercher une consolation à se convaincre lui-même que, après tout, il a compté « parmi les heureux de ce monde », puisque personne ne saurait lui enlever « le plaisir procuré par le travail ». Parfois, enfin, on dirait qu’il s’excuse par avance d’avoir été un des agens responsables des décadences morales et sociales dont le tableau désolait son âme, et il éprouve le besoin d’affirmer publiquement que rien ne peut faire qu’il n’ait pas « aimé la vérité », qu’il n’ait pas « poursuivi un idéal et voulu le bien ».

Ce fut en de telles dispositions qu’il composa la dernière œuvre qu’on ait jouée de lui, cette Francillon que la critique a prise au sérieux, et qui ne semble pourtant guère qu’une mystification ou une parodie. D’étude de caractères et de mœurs, il n’y en a pas ombre en ces trois actes, dont tous les acteurs ne portent que d’assez pâles figures conventionnelles, à moins qu’ils ne se présentent sous l’aspect de fantastiques imbéciles ou de simples détraqués nerveux. De symbole et de thèse, il n’y en a pas davantage ; l’idée de l’égalité absolue entre le mari et la femme, et du