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ascendans dans l’attitude hautaine que prend Jacques Vignot devant son père ? Sous prétexte que « donner la vie dan§ de certaines conditions est plus barbare que de donner la mort », va-t-on dire que les pères et les mères de tous les déshérités et de tous les dégénérés ont commis « un délit plus grave que celui d’avoir volé nuitamment et avec effraction, égal à celui d’avoir tué » ? Va-t-on, par une série de pénalités impitoyables, condamner au célibat ceux dont la fortune ou la santé n’offriraient pas des garanties suffisantes à leur hypothétique progéniture ? Un médecin y a songé, et son idée n’a pas été prise au sérieux. Elle n’était pourtant ni plus impraticable, ni plus folle que celle d’Alexandre Dumas fils, et pour obtenir un succès platonique, il ne lui a peut-être manqué que d’être mise en valeur par des argumens de romans et de drames ; elle n’était pas, en tout cas, plus contraire à l’ordre public et à l’intérêt social.

Car, sous quelque aspect que nous envisagions le problème, et si émouvans que soient les malheurs individuels des filles séduites ou des enfans nés de liaisons irrégulières, nous sommes bien toujours obligés de revenir, en dernière analyse, aux exigences nécessaires et légitimes de la société. La société doit-elle s’efforcer de maintenir intégrale l’institution du mariage ? Si oui, elle a non seulement le droit, mais aussi le devoir de se résoudre, ainsi que l’a fait le Code, aux sacrifices qui heurtent le plus directement nos instincts d’humanité et de pitié. Répliquera-t-on que ces sacrifices sont trop iniques et douloureux ? Il n’y a plus alors rien à dire. On ne peut, par un exposé très bref, et afin d’éviter tout malentendu, que tâcher de mettre en lumière les résultats auxquels aboutissent immédiatement l’écrivain qui fait l’objet de cette étude et ses disciples.

Le mariage idéal, ils nous l’ont assez dit, est fondé sur le consentement et sur l’amour permanent des conjoints, l’autorisation paternelle ne paraissant même pas une des conditions préalables absolument essentielles à la validité du contrat[1]. Le mariage n’est pas indissoluble, l’épouse, en cas de dissolution reprenant sa part du bien commun, et l’enfant recevant une pension dont

  1. Voir à ce sujet la conversation entre Aristide Fressart et la marquise d’Orgebac (le Fils naturel, acte I, scène VIII), et surtout au cinquième acte de l’Étrangère (scène VI), le passage où Clarkson, interprète évident des opinions de l’auteur, s’étonne que Mlle Mauriceau n’ait pas pu, contre la volonté de son père, « aller tout bonnement se marier chez le juge de paix du district » avec « le brave garçon » qu’elle aimait.