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Pas plus que n’importe quel politique, il n’a pu se garder de certaines dissimulations sans lesquelles les affaires ne sauraient être conduites : il lui est arrivé de ne pas avouer qu’il avait signé un traité secret, même de le nier, de couvrir par des paroles de paix des préméditations de guerre, mais il n’a jamais manqué à un engagement formel. Loin d’être toujours impénétrable, il ne s’est souvent que trop expliqué. L’homme d’État dit ce qu’il fait, mais il n’annonce pas ce qu’il fera, car il ne sait pas s’il pourra le faire. D’un silence mystérieux, l’Empereur passait à un excès de confidence et s’engageait imprudemment par des programmes, sans penser que nul ne dispose du lendemain. Il était d’aussi bonne foi quand il s’avançait que quand il reculait. Nous le verrons dans une circonstance des plus décisives, en 1866, sacrifier son intérêt et celui de son pays à une délicatesse de loyauté.


III

Par quelle raison cette politique de l’Empereur a-t-elle été, malgré son désintéressement, suspecte de cupidité et, malgré sa loyauté, accusée de fourberie ?

L’incrédulité à l’égard des intentions désintéressées de Napoléon III a été une des conséquences fatales de la restauration impériale.

« Les traditions du premier Empire et sa gloire ayant été entre les mains de Louis-Napoléon un des moyens les plus efficaces de saisir le pouvoir et de restaurer la dynastie, ce doit être autant son ambition, qu’une nécessité de son existence, de suivre plus ou moins exactement ces traditions et de faire revivre cette gloire. » Cette réflexion d’un ministre piémontais, Da Bormida[1], résume l’opinion générale des cabinets européens. Malgré ses protestations réitérées, quoique la moindre réflexion eût rendu évident qu’il était un homme de paix et non un homme de guerre, en Allemagne et plus encore en Angleterre, on resta convaincu que le rétablissement de l’Empire impliquait le recommencement fatal de la politique du premier Empereur, de son esprit d’ambition, de conquête, de prépotence ; que la reprise de la Belgique et du

  1. Dépêche du 18 novembre 1854.